Pendant 10 jours, militant•es, ONG et groupes d’activistes autonomes sont venu·es penser ensemble la transition sociale et écologique sur le Camp Climat et pendant “l’école de la décroissance”.
La semaine s’est clôturée par trois journées d’actions : 3 000 personnes ont tracé une ligne rouge pour protester contre l’extension de la mine d’Hambach et des milliers d’activistes de la coalition Ende Gelände (“Jusqu’ici et pas plus loin !”) ont bloqué les voies de ravitaillement des centrales à charbon de l’entreprise RWE, la forçant à réduire sa production pendant 20h.
Ces actions de blocage sont d’autant plus emblématiques que la Rhénanie du Nord Westphalie est la région la plus émettrice en CO2 d’Europe. À elles seules, les centrales à charbon gérées par RWE ont émis l’équivalent de 90 millions de tonne CO2 en 2015. L’Allemagne, pourtant largement excédentaire (9% d’excédent de production électrique en 2015), produit encore 40% de son électricité à partir du charbon ; et l’arrêt de ces activités polluantes n’est toujours pas inscrit à l’agenda politique. C’est ce que sont venus réclamer les activistes fin août.
Créer un mouvement de masse de justice climatique
La stratégie d’Ende Gelände est simple : mobiliser des milliers d’activistes pour réaliser une action de désobéissance civile de masse. L’accent est mis sur l’inclusion, et les moyens de s’engager sont divers : aspects logistiques sur le camp, manifestations pacifiques déclarées, blocages collectifs de rails, blocage d’excavatrices en petits groupes... [1]
Les concepts de "convergence des luttes" et "d’intersectionnalité" reviennent souvent. Durant les ateliers et les plénières, on discute des rapports sud-nord, de souveraineté alimentaire, des liens entre l’économie extractives et les luttes queer et féministes, ainsi que du manque de diversité raciale au sein du mouvement. De fait, les activistes d’Ende Gelände appréhendent le réchauffement climatique d’un point de vue systémique, dans une perspective de “justice climatique”. La concentration trop élevée de CO2 dans l’atmosphère n’est que le symptôme d’un problème plus large : notre système économique et social extractiviste. "Changeons le système, pas le climat" : c’est le maître mot de la semaine.
La vie sur le camp : (ré)apprendre à vivre et décider ensemble
Malgré la conviction partagée que, "pour tout changer, on a besoin de tous" [2], des désaccords éclatent de temps à autre. Est-ce que traverser un barrage de police est à la portée de tout le monde ? Quelle relation doit-on entretenir avec les travailleu·ses de la mine ou avec les automobilistes de passage lors des actions de blocage ? Comment prendre des décisions consensuelles mais rapides en situation d’urgence ? Les hommes peuvent-ils être torses nus sur le camp ? Le mouvement assume ses tâtonnements et son hétérogénéité. On vient pour se former, s’entre-former, partager : sur des grands panneaux en bois, chacun·e peut proposer un atelier, ou décider de participer aux formations juridiques, aux initiations à la désobéissance, aux percussions, à la danse, ou au clown organisées par les autres.
Entre organisation rigide et autogestion babacool, Ende Gelände surprend par sa logistique pointue mais conviviale, ses tableaux de répartition de tâches, et les sessions plénières quotidiennes pour discuter des grands moments de la journée (traduites en direct en 4 langues sur des fréquences de radio FM !). On ne peut qu’être impressionné·e par la spontanéité avec laquelle les bénévoles se relaient pour couper des oignons ou renouveler la sciure des toilettes sèches.
Une forte répression
La non-violence assumée des activistes ne les protège pas pour autant de la répression, particulièrement cette année, où 800 activistes ont été placé·es en garde-à-vue en l’espace de 3 jours. Les autorités avaient vu les choses en grand avec la mise en place d’une cellule régionale spécifique pour ficher les activistes et la mobilisation de 10 000 policiers. Ces derniers n’ont pas hésité à employer la force pour lever les blocages, malgré les pancartes qui les interpellaient : "nous luttons
aussi pour vos enfants". Plusieurs images d’activistes violenté·es ont tourné dans les médias, propageant l’indignation.
Cette répression n’a rien de surprenant : le secteur du charbon totalise près de 120 milliards d’euros de chiffre d’affaire annuel en Allemagne. Au vu des montants investis il est nécessaire que les machines fonctionnent en permanence : la moindre interruption se traduit en manque à gagner pour l’entreprise et ses actionnaires. Ce lien entre capital investi et exploitation outrancière de nos sous-sols illustre bien à quel point notre modèle de développement repose sur un système extractif destructeur.
La justice climatique est une question de solidarité internationale
Seule une petite partie des êtres humains profite de ce modèle de développement capitaliste. Et ce sont pourtant les populations qui en profitent le moins qui seront les premières touchées par le réchauffement climatique : les populations les plus pauvres et les plus précaires. C’est une évidence dans les pays “en développement”, mais c’est également le cas dans ceux de l’OCDE [3].
La COP23 est organisée cette année par les îles Fidji, menacées de submersion par la montée des eaux. Ce sera l’occasion pour Ende Gelände de réclamer haut et fort la justice climatique, en solidarité avec les différentes communautés touchées. Les citoyen·nes sont appelé·es à se rassembler à Bonn du 3 au 5 novembre 2017 pour une action de grande ampleur contre l’industrie fossile. Ne laissons pas les chef·fes d’État et les multinationales décider seul·es de notre futur.
Durant le Camp Climat, tout fonctionne de manière totalement horizontale, y compris les actions. Les manières de manger, de vivre ensemble, d’apprendre, et de désobéir devant refléter nos aspirations générales pour la société, on ne sert que de la nourriture végane, et le consensus d’action est non violent.