Cela se passe à Bunyola, un village de montagne d’environ 2.000 habitant-es situé sur l’île de Majorque, dans l’archipel des Baléares. Chaque matin, quinze parents amènent leurs enfants dans un parc situé à la sortie du village. Au fond du parc, une petite porte métallique mène vers la montagne. À 9 heures et quart, la troupe d’enfants de 2 à 6 ans l’ouvre et court sur le sentier forestier, suivis de Patty et Linda, les deux accompagnatrices.
Un peu plus loin apparaissent des cabanons en bois. Patty en sort une bâche qu’elle déplie au sol. « Ce lieu est le point de référence de notre espace de jeux. En début de matinée nous y faisons un goûter, et nous en profitons pour tous nous saluer ».
Les « écoles » des bois, ou plutôt « jardins d’enfants dans la nature », se développent depuis les années 1950 dans les pays scandinaves et germaniques. « La nature est un espace d’explorations et d’expériences sans limite. Un espace de jeu et d’apprentissage pour les enfants, mais surtout un outil pédagogique pour le développement de leur lien à la vie. Les trois buts principaux sont le plaisir de l’enfant, son développement intégral, et lui permettre de fonder une relation émotionnelle à la nature », explique Sarah Wauquier, auteure du livre Les Enfants des bois. Équipés si nécessaires de vêtements imperméables et chauds, les enfants jouent dehors de 5 à 9 heures par jour et par tous les temps.
Yasmine Eid-Sabbagh s’est inspirée de ce modèle pour fonder Ses Milanes. L’aspect matériel est facilement résolu : « La nature est un bien public, c’est gratuit, il n’y a pas de loyer à payer ! ». Elle a fini par convaincre deux familles et fondé avec elles une association à but non lucratif.
Dans les montagnes de Bunyola, les enfants jouent librement avec très peu de matériel ; Patty et Linda n’apportent que quelques loupes, ainsi que des livres sur les oiseaux et les plantes pour reconnaître les spécimens découverts. « Au retour, ils sont noirs, couverts de terre et de branches, avec un sourire d’oreille à oreille, et… ils font de grandes siestes, ça c’est un gros avantage ! » se réjouissent Pierrick et Poli.
Je demande à Franziska si elle ne craint pas le retour de son enfant à l’école classique (l’école est obligatoire à partir de 6 ans en Espagne). Selon elle, « des études montrent au contraire que les enfants des bois sont mieux préparés à l’école primaire, car ils ont confiance en eux. C’est quelque chose que j’ai remarqué dès le début chez Julian. Il a très vite progressé en motricité, par exemple. Et puis, ils apprennent même à compter et à lire ». Comment ? Ámar, 4 ans, a demandé un jour à Patty comment s’écrivait son nom. Patty l’a aidée à former des lettres avec des morceaux de bois. Puis d’autres enfants ont voulu apprendre à leur tour. Maintenant, on trouve des petits « Ámar » et des petits « Xaloc » inscrits sur le sol de la forêt.
« Passer tout ce temps dans la nature leur apprend aussi à la traiter comme un égal », explique Yasmine. « Hier, Ámar parlait aux haricots que nous préparions pour le repas. Je me suis approché : elle leur demandait pardon et les remerciait, car on allait les manger ! » rit Adria. « Il y a quelques jours, quand je suis venue chercher Loïc, Linda m’a dit qu’il avait contemplé la pluie pendant une heure. Ça m’a beaucoup touchée », raconte, quant à elle, Poli.
Après trois ans d’existence, plusieurs familles de Palma sont venues s’installer au village de Bunyola pour y inscrire leurs enfants. Et d’autres écoles de la nature ont vu le jour comme à Tenerife, aux Canaries, une école… sur la plage !
Inès Léraud