En 1986, des femmes en Argentine créent la Rencontre nationale des femmes qui depuis a lieu chaque année. À l’automne 2016, elles n’avaient jamais été si nombreuses à se retrouver pendant trois jours pour expérimenter des pratiques de consensus, participer à des ateliers, des débats ou des marches dans la ville de Rosario qui accueillait cette année la manifestation : 70 000 femmes, autonomes ou appartenant aux multiples associations et collectifs féministes comme Juntas a la Izquierda, Malas Juntas, Las Rojas ou encore Pan y Rosas, tout un réseau de femmes luttant dans les usines, pour le droit à l’avortement toujours restreint en Argentine, contre l’augmentation de la dette et l’impunité des multinationales ou contre la violence faite aux femmes et les très nombreux féminicides dont elles sont victimes en Argentine et dans d’autres pays d’Amérique latine. Le 8 octobre 2016, alors que commencent les rencontres, une femme de 16 ans, Lucia Perez, est sauvagement violée et assassinée. Ce 322e féminicide de l’année 2016 provoque une vague d’émotion dans le pays.
Un féminisme viral
Le réseau Ni Una Menos (Pas une de moins), collectif de femmes, journalistes, militantes, constitué suite à de précédents féminicides, a été à l’origine de la manifestation du 3 juin 2015 à Buenos Aires qui avait fait descendre près de 300 000 personnes dans les rues pour demander tout à la fois la mise en place d’une loi intégrale contre la violence et la dépénalisation de l’avortement. Parti d’Argentine, Ni Una Menos s’est diffusé via les réseaux sociaux dans le reste de l’Amérique du Sud - les luttes féministes s’inspirent les unes des autres.
Cinq jours avant le meurtre de Lucia Perez, le 3 octobre 2016, les Polonaises qui craignaient de perdre leur droit à l’avortement – déjà restreint – se sont opposées massivement et avec succès au projet de loi du gouvernement ultra-conservateur. Ayant peu de traditions de manifestations féministes, elles se sont référées à la grève du 24 octobre 1975 des Islandaises et ont appelé les Polonaises à faire grève et/ou à s’habiller en noir.
En écho, les femmes de Ni Una Menos proposent aussi aux Argentines une grève d’une heure, le 19 octobre, un mercredi qui se veut aussi noir que le lundi noir polonais : « Dans ton bureau, à l’école, à l’hôpital, au magasin, à l’usine, à la rédaction et partout où que tu sois en train de travailler, fais la grève pour dénoncer les violences faites aux femmes », car, disent-elles en reprenant les mots de la poétesse mexicaine Susana Chávez, assassinée elle aussi en 2011, « Ni una mujer menos, ni una victima mas » (Pas une femme de moins, pas une victime de plus).
Elles seront encore massivement dans la rue le 25 novembre 2016 et le 8 mars 2017, faisant pression sur le gouvernement, obligeant les syndicats à prendre en compte leurs revendications. De l’Islande à Buenos Aires en passant par la Pologne, de 1975 à 2017, les luttes de femmes utilisent les mêmes grammaires de luttes et puisent aux mêmes forces collectives. Les réseaux sociaux jouent un rôle nouveau dans la circulation des images de luttes, des mots et hashtags, des imaginaires, des émotions partagées. Et si un féminisme viral réussissait a créer des formes nouvelles de solidarité et de sororité ?
Isabelle Cambourakis
En novembre 2015, Silence a publié une grande affiche couleur intitulée « 100 dates qui construisent nos luttes féministes aujourd’hui ». Chaque mois, cette chronique permet de revisiter une date du féminisme.