C’est en Italie que la dynamique prend forme. Profitant d’une faille dans la loi, ils sont plusieurs milliers, dès 1976, à créer une station. C’est un capharnaüm dans lequel vivotent des radios privées, avides de publicité, et des radios de quartier ou de lutte qui s’installent dans le paysage italien. La plus connue reste Radio Alice qui défraie la chronique lors de violentes manifestations à Bologne.
En France, le coup d’envoi est donné le dimanche 20 mars 1977, sur le plateau de TF1, au cours d’une soirée présentant les résultats du second tour des élections municipales. Brice Lalonde, candidat écologiste, est accompagné par Antoine Lefébure (1), qui passe pour son garde du corps. Dans une sacoche, un émetteur, une batterie et un lecteur cassette. Antoine, discrètement, appuie sur lecture et diffuse un enregistrement effectué avec les Amis de la Terre Paris dont Brice Lalonde est président. Ce dernier, devant la caméra, se saisie alors d’un poste récepteur, l’allume et annonce, en direct, l’existence d’une radio verte à Paris.
Des radios actives
L’idée de créer des stations pirates et militantes (2) cheminait déjà dans plusieurs régions.
Parmi les premières, Radio Verte Fessenheim (RVF), en Alsace, diffuse son émission zéro le 4 juin 1977 à 19 h 45.
L’enregistrement, d’une quinzaine de minutes, s’adresse aux « habitantes et habitants des vallées vosgiennes, de la plaine du Rhin et de la Suisse du Nord menacés par la pollution chimique et radioactive ! ».
Le tout premier émetteur de RVF se trouve être celui utilisé par Radio Active pour le rassemblement contre Superphénix en 1976. Cédric Philibert, un des animateurs, a donné l’émetteur au Mouvement pour une Alternative Non-violente (MAN), qui le propose à Serge Bischoff, adhérent de l’association. Quelques semaines plus tard, alors que les opposants à la centrale nucléaire de Fessenheim occupent plusieurs sites et multiplient les actions, Serge Bischoff, Elisabeth Schulthess, Mick et Michel Albrecht, créent Radio Verte Fessenheim.
Bien que l’’émission zéro soit censée être un épiphénomène, RVF diffusera, pendant 4 ans, une émission hebdomadaire d’une heure grâce à des dizaines de bénévoles qui chaque semaine gravissent les sommets vosgiens, matériel sur le dos, pour diffuser une émission commune..
Dans la foulée, plusieurs radios militantes et antinucléaires éclosent en France : Radio Pomarèdes à Bézier, dénonce un projet de complexe chimique ; Radio Golfech, au nord de Toulouse, Radio 44 à Nantes ou encore Radio Plogoff en Bretagne s’opposent à des projets de centrale nucléaire. Pour l’histoire, le 6 novembre 1977 Radio Par La Racine émet lors d’une marche anti-uranium à l’Ille-sur-Têt (66).
Lorraine Cœur d’Acier
Puis, en 1979, Longwy (54), commune sidérurgique, est victime d’un plan de cessation d’activités. La ’grogne’ ouvrière se manifeste, d’abord avec la CFDT qui, avec le soutien de RVF, lance Radio SOS Emploi. En réaction, la CGT investit dans un puissant émetteur et finance la création de Radio Lorraine Cœur d’Acier (LCA).
Pendant plus d’un an, LCA est de tous les combats locaux mais les sujets abordés dépassent les directives du bureau national… ses deux journalistes sont licenciés. LCA reste cependant la plus importante radio du mouvement ouvrier, aux côtés de Radio Quinquin dans le Nord (59) ou de Radio Alsthom à Belforth (90).
Libéralisation des ondes
L’effervescence autour de la radio est telle que le 29 juin 1979, le Parti Socialiste se paye une agréable publicité avec Radio Riposte. Les responsables du PS espèrent et obtiennent l’intervention musclée des forces de l’ordre, ce qui leur procure une tribune politique de première ordre, récupérant ainsi le mouvement libriste.
En 1981, quand François Mitterrand est élu à la présidence de la République, il initie la libéralisation des ondes. Son gouvernement construit un cadre administratif et technique qui induit des coûts pour ceux qui, jusqu’à présent, utilisaient du matériel peu onéreux.
Pour répondre à ces nouvelles contraintes, les amateurs deviennent des professionnels, gèrent des équipes, des programmes et des budgets conséquents qui nécessitent de nouvelles sources de financement. Beaucoup flirtent avec des réclames, qui ne se veulent pas des publicités, tandis que d’autres développent des partenariats.
Trop de conformisme
Mais au cours des années 1980, la plupart des radios militantes perdent leur hargne.
Quelques-unes revendiquent leur indépendance financière et refusent toute rapprochement avec le commercial. D’autres, suite à des difficultés financières sont récupérées par des groupes de presse. C’est le cas pour RDL, la descendante de RVF. Sur cinq antennes, deux sont reprises par RTL 2, deux disparaissent et une seule, à Colmar, reste sans publicité, mais perd sa verve militante.
Nous évoluons aujourd’hui dans un paysage hertzien qui semble figé par l’habitude, où seules quelques radios militantes survivent.
Pourtant, de nouveaux pirates squattent les fréquences hertziennes, lors d’occupations de terrains ou de rassemblements, dans une optique foncièrement militante.
Sans oublier qu’un nouvel outil est apparu, le web où se développe des radios de toutes sortes et de toutes obédiences, plus ou moins pérennes, plus ou moins commerciales, plus ou moins intéressantes.
Ce sera l’objet du prochain article.
Jocelyn Peyret
Encart
Dans le cadre d’une recherche personnelle je me suis intéressé au mouvement des radios libres et plus spécifiquement des radios de lutte qui ont émergé à partir de 1976/1977 en France.
Si vous avez participé à une radio pirate, connaissez quelqu’un qui ou, si vous avez des documents, merci de me joindre au 06 20 36 57 17 ou joce@no-log.org
L’épopée alsacienne du Dreyeckland
1970 – 1981, une décennie de luttes écologistes, citoyennes et transfrontalières
21 euros
192 pages
Ed. Do Bentzinger
https://www.editeur-livres.com/
(1) Depuis 1975, Antoine Lefébure et quelques comparses animent le journal irrégulomadaire Interférences. Dès le premier numéro — il y en aura 12 — la revue pose les fondements théoriques des radios libres et explique que « de par son faible coût relatif par rapport à sa pénétration, d’autre part sa souplesse, c’est-à-dire son accessibilité, la radio est le meilleur médium. » - Cité dans La Bataille des radios libres – 1977-1981 – Thierry Lefebvre – Ed. INA Nouveau Monde – 2012.