L’histoire des OGM est celle de l’acharnement des semenciers à les imposer à la population, en mettant périodiquement en avant de nouvelles techniques, chaque fois présentées comme enfin tout à fait sûres et capables de tenir leurs promesses.
De nouveaux OGM peut-être, à leur tour, non réglementés
Les premiers OGM résultaient de la transgenèse, technique de transfert dans la plante de gènes d’une autre espèce. Sous la pression citoyenne, leurs cultures ont été interdites en France (ce qui ne veut pas dire que tous les problèmes soient réglés) (1).
Les OGM ont ensuite été produits par mutagenèse, qui consiste à provoquer une mutation en exposant la plante à l’action d’agents mutagènes physiques ou chimiques. La plupart des plantes ainsi mutées produisent des insecticides et/ou résistent aux herbicides. Or la directive européenne 2001/18 les reconnaît comme OGM mais les exclut de son champ d’application, au motif que les mutations sont des phénomènes se produisant aussi dans la nature et que, depuis une cinquantaine d’années d’utilisation, aucun risque n’auraient été révélé. Un tour de passe-passe que l’on doit au lobby pro-OGM, qui permet aux plantes mutées d’échapper à tout encadrement réglementaire. Hélas pour l’agrobusiness, les citoyen-nes ne sont pas dupes et ces « OGM cachés » sont régulièrement fauchés (2).
Enfin arrive aujourd’hui une troisième génération d’OGM, issue de diverses nouvelles techniques, les NTMG (voir encadré). Et les industriels ne manquent pas de s’engouffrer dans la brèche de l’exclusion des plantes mutées pour réclamer celles des plantes issues des NTMG. Ils reprennent les deux mêmes arguments : la présomption de sécurité — alors qu’elle ne repose sur aucune évaluation des OGM —, et le sempiternel argument de similarité avec la nature, qui ne tient pas non plus (voir encadré).
Les NTMG en (très) bref
L’ensemble des NTMG est disparate. Leurs points communs : ce sont des méthodes in vitro, qui bénéficient de l’évolution des techniques de ciblage moléculaire et de la bio-informatique. Elles permettent l’insertion d’un gène ou sa modification, sa mutation ou la modification de son expression. Elles se combinent entre elles. On en distingue deux grandes familles. Les nucléases dirigées (Talens, Crispr-Cas9…) fonctionnent avec des enzymes qui coupent l’ADN (« ciseaux moléculaires ») et permettent diverses manipulations dans l’espace libéré. La mutagenèse dirigée par oligonucléotide (MDO) utilise, pour obtenir une mutation, de courtes séquences d’ADN synthétisées en laboratoire, dont la trace est très vite éliminée, rendant impossible la distinction entre mutation spontanée et provoquée. Il existe aussi d’autres méthodes comme la cisgenèse, l’agroinfiltration ou des techniques liées à l’épigénétique, comme l’interférence à ARN.
L’ineptie du sempiternel argument de similarité avec la nature.
Elle est illustrée par les Amis de la Terre (3), à partir du cas des mutations. Si l’on suit l’argument de similarité, la nature pourrait faire les mêmes mutations que le génie génétique.
« Certes, le hasard peut tout réaliser et, partant, la nature peut tout produire, mais considérons cet exemple d’une toute petite protéine de seulement 100 acides aminés. Pour l’obtenir par mutations d’une séquence d’ADN (…), en supposant un taux de mutation énorme de une par seconde dans la séquence d’ADN considérée, il faudrait tout de même 10120 secondes, soit 10100fois l’âge de l’univers. »
Le secret pour les nouvelles techniques de manipulation ?
Les industriels cherchent aussi à renverser l’approche dite processuelle qui fonde la législation européenne. La directive européenne 2001/18 déclare qu’est génétiquement modifié tout organisme dont le matériel génétique a été modifié d’une manière non naturelle. Elle intègre donc le procédé d’obtention de l’organisme. Les semenciers veulent au contraire que l’on ne considère que l’organisme, qu’ils présentent comme ne posant aucun problème, sans tenir compte du procédé.
Or, s’ils réussissent à tenir le législateur à l’écart des procédés, les informations relatives à chaque technique seront considérées comme relevant du secret d’affaire, empêchant tout contrôle par une administration, toute contre-expertise indépendante. Ce qui serait bien dans l’air du temps, à l’heure où le Parlement européen adopte, en avril 2016, une directive favorisant le secret d’affaire.
Et cela pourrait bien arranger la Commission européenne qui, en 2008, s’est saisie de sept NTMG pour déterminer si elles produisent ou non des OGM. Presque 10 ans plus tard, cette liste est dépassée par l’arrivée constante de nouvelles techniques et la Commission, qui attend aussi la position des Etats (4) et subit les pressions des lobbies, ne s’est toujours pas exprimée. Adopter le principe du regard sur le produit lui permettrait de statuer de façon transversale, pour toutes les techniques. Il est au contraire crucial de maintenir les techniques de manipulation génétique, via la législation, sous le regard de la société civile.
L’agrobusiness prend de moins en moins de précautions
La plupart des NTMG sont encore très expérimentales et les scientifiques sont loin de les dominer complètement. Cela n’empêche pas les industriels de demander déjà des autorisations commerciales. Aux Etats-Unis et au Canada, l’entreprise Cibus produit et commercialise déjà un colza issu de la mutagenèse dite MDO (voir encadré). En 2014, cette même entreprise a essayé de persuader l’agence de sécurité alimentaire allemande (BVL) que son colza pouvait être dispensé des procédures détaillées d’évaluation des risques… avant d’être contrainte de reconnaître qu’elle ne maîtrisait pas pleinement les techniques qu’elle utilisait (5).
Au titre de la précipitation des industriels, l’exemple de Crispr-cas9 est édifiant. Cette méthode, comparée à un « couteau suisse génétique », est une vraie star dans le monde des biotechnologies. Elle fonctionne avec une simplicité, une rapidité et des coûts très faibles qui ont enflammé le secteur. C’est ainsi que, quatre ans après la publication de sa découverte en 2012, ce qui est un record de vitesse, les accords de licence se multiplient, les investissements battent tous les records et le nombre de dépôts de brevets explose.
Dans ce contexte frénétique, les temps de validation scientifique sont considérés comme un frein gênant, sans parler du principe de précaution ou de la réflexion éthique. Et ce alors qu’il faudrait au contraire redoubler de prudence face à des techniques à la fois complexes, mal maîtrisées et faciles d’accès. Si les verrous législatifs sautent, elles pourront se généraliser très vite, à grande échelle et sans retour en arrière possible.
Concentration et brevets pour dominer l’alimentation mondiale
Par ailleurs, « jamais un secteur n’aura connu une consolidation aussi rapide. En moins d’un an, le marché des semences a vu s’enchaîner les grandes manœuvres », peut-on lire dans Les Echos du 15 septembre 2016. Méga-fusions des firmes Syngenta et chemChina, Dow Chemical et DuPont, Bayer et Monsanto (Monsanto qui achète les droits d’exploitation de Crispr-cas9). Les « Big six » qui s’étaient constitués dans les années 90 avec l’arrivée des premiers OGM sont devenus les « Big three » en quelques mois avec l’arrivée des derniers OGM. La prolifération des NTMG sert avant tout à constituer des empires monopolistiques sur l’alimentation mondiale. Les trois monstres contrôlent d’ores et déjà 60 % du marché mondial des semences.
Les fusions ne sont pas guidées par la volonté de s’emparer de segments de marché mais par celle de maximiser les portefeuilles de brevets. Les NTGM sont au cœur du scandale de la brevetabilité du vivant étendue jusqu’aux « traits natifs », les caractères héréditaires naturels des plantes (par exemple leur teneur en eau). En effet, à cause du maquis législatif sur le sujet, des informations génétiques risquent d’être brevetées par des moyens détournés, alors qu’elles se retrouveront à l’identique aussi bien dans la plante génétiquement modifiée que dans la plante sauvage ou cultivée par les paysan-nes. Et seront donc susceptibles de déclencher la réclamation d’une redevance par le détenteur de cette information.
Face à des acteurs et des enjeux aussi énormes, le combat n’est pourtant pas perdu. Et pour ce qui concerne au moins nos sociétés occidentales, nos choix en matière d’alimentation suffiraient à assécher leur entreprise.
Danièle G
1) Leur importation pour nourrir le bétail reste massive et nous en consommons donc indirectement à travers les produits animaux.
(2) Voir « La mutagenèse est-elle dangereuse ? », Silence no 412, mai 2013.
(3) Dans leur contribution complémentaire à l’avis du Haut Conseil des biotechnologies du 20/1/2016.
(4) Sur l’avis de la France et le scandale au sein du Haut Conseil des biotechnologies, voir Silence nos 444 et 446, avril et juin 2016.
(5) Source : rapport 2016 de l’ONG allemande TestBiotech. Il est à noter que l’investigation du BVL allemand n’aurait pas été possible avec une réglementation focalisée sur le produit.