Le mouvement, simple collectif et non pas association, est hétérogène dans ses composantes et soudé par des valeurs fortes : la défense du vivant dans sa complexité et son autonomie, en opposition à l’artificialisation du monde et aux puissances de l’argent. Ses actions s’inscrivent dans la désobéissance civique, devenue le seul recours possible, et la non-violence, une fonction de lanceurs et lanceuses d’alerte, une réflexion éthique.
Silence : Comment a démarré votre mobilisation sur les NTMG ?
Annick Bossu : En 2013, notre attention a été attirée par le projet de recherche Genius (voir encadré) et, de fil en aiguille, nous avons découvert les NTMG. Au départ, Genius portait sur la transgenèse de neuf espèces végétales, dont sept d’alimentation humaine. Nous avons voulu dénoncer le double discours de l’Etat qui, d’un côté, interdit les OGM dans les champs et, de l’autre, finance une recherche qui aboutit à des plantes transgéniques. L’Etat abandonne l’intérêt public au bénéfice des multinationales, car qui dit OGM dit brevets et privatisation du vivant. Nous dénonçons aussi l’opacité et le mépris de la démocratie, puisque le refus des OGM par la société civile est sans ambiguïté.
Nous avons donc engagé toute une série d’actions, non pas dans les champs mais en amont, au niveau des laboratoires et des lieux de pouvoir. En 2014, nous avons occupé l’Ecole nationale supérieure de Lyon, qui hébergeait le département de reproduction et développement des plantes de l’Institut national de recherche agricole (Inra), et les locaux de l’Inra à Avignon. Il s’agissait, sans destruction, de manifester notre opposition et d’obtenir des rendez-vous avec des responsables politiques de façon à les contraindre à nous entendre, si ce n’est à nous répondre. Et ensuite à pouvoir faire circuler largement les comptes rendus de ces « échanges » auprès des élus, des associations, des médias etc. Nous nous sommes aussi invité-es à des conférences, par exemple à l’université Lyon III qui est l’un des partenaires du projet Genius, avec des philosophes parties prenantes du projet. Pour dénoncer la collusion public-privé, nous avons investi les locaux de Limagrain Vilmorin, partenaire Genius près de Clermont-Ferrand.
Lorsque nous avons découvert ce projet, nous y avons vu surtout le sujet de la transgenèse. Mais au fil du temps, nous avons perçu les dangers encore aggravés et les enjeux énormes liés aux NTMG. A partir de 2015, nous en avons donc fait une cible systématique de nos actions et de nos messages. Nous avons écrit à la Commission européenne au sujet des NTMG, interpellé les officiels lors du Salon de l’agriculture, saisi toutes les occasions pour parler du sujet.
Mais cependant, les fauchages « traditionnels » de plantes mutées en variétés rendues tolérantes aux herbicides (VrTH) n’ont jamais cessé et se poursuivent…
Oui, ces fauchages restent une base fondamentale pour nous. Pour l’année 2016 par exemple, nous avons fauché trois hectares de tournesols porte-graines dans les Pyrénées-Orientales, et des essais de colza en Bourgogne. Nous avons organisé les blocages d’importations de soja transgénique à Lorient, Saint-Nazaire et Plouagat. Il s’agissait de dénoncer l’entrée de ces plantes toxiques sur le sol français, ainsi que leur culture en Amérique du Sud. En solidarité avec les Argentins en lutte contre Monsanto, nous avons occupé le site de Trèbes, dans l’Aude. Nous avons multiplié les actions dans les jardineries et les grands magasins, par exemple en mars 2016, lors d’une action nationale. Ces actions dans les magasins visent d’abord les pesticides et les OGM associés mais ce sont aussi des occasions de parler des NTMG et d’avoir une visibilité directe auprès des gens.
Au fond, n’y a-t-il pas, sur le terrain, action après action, un double front de lutte qui se dessine : la lutte sur tous les terrains d’une part, mais aussi une insistance particulière systématique sur les NTMG ?
En effet, on continue à lutter de front sur tous les terrains parce que tout est lié : pesticides, OGM conventionnels ou nouveaux brevets (y compris sur les traits natifs), etc. Donc on ne peut rien lâcher. Et parce que, derrière la nouveauté des techniques, on retrouve les mêmes arguments, les mêmes intentions, c’est donc le même combat qui continue. Et puis d’autre part, il est vrai que l’on développe désormais systématiquement nos positions sur les NTMG parce que l’enjeu crucial est là, aujourd’hui.
Ces nouvelles techniques sont plus dangereuses que les anciennes, au contraire de ce qu’on nous dit. Elles sont mal maîtrisées et en plus, elles permettent d’aller plus vite. Cela nous est présenté comme un avantage majeur : le « gain de temps en sélection », alors que c’est un facteur de risque supplémentaire. Elles sont plus complexes, il y aura davantage d’opérations mal contrôlées et d’effets hors cible. Le ciblage soit-disant plus précis ne garantit pas la non-dangerosité. Elles sont utilisées au niveau de la cellule et non au niveau de la plante entière, qui avait au moins une certaine capacité à se réparer. Elles permettent de faire du forçage génétique sur une espèce, avec une perte de contrôle sur son devenir et sur tout l’environnement.
Les Faucheurs ont évolué au cours du temps en élargissant toujours davantage leur champ d’action : partant d’une lutte presque catégorielle d’agriculteurs, elle a adopté très vite l’altermondialisme, puis s’est tourné vers les consommateurs avec le thème de la malbouffe, vers la société civile avec des sujets plus globaux comme la privatisation du vivant, etc. Et aujourd’hui, vous vous intéressez aussi au transhumanisme ?
Pour le transhumanisme, il n’y a pas encore une prise de conscience homogène entre nous, et pas de consensus sur ce que nous aurions à faire sur le sujet. Mais certain-es d’entre nous, dont je fais partie, sont très en alerte sur ce thème et défendent une position simple et radicale : le projet transhumaniste n’est pas de ceux dont on peut discuter, il vise à « augmenter » l’humain qui serait devenu inadapté ! C’est la négation de nos valeurs. Il est dans la droite ligne des OGM, de la biologie de synthèse, qu’il intègre parfaitement. Les transhumanistes avancent masqués et proposent des débats auxquels nous ne participerons pas, car ils sont destinés à faire passer leurs valeurs. Pour beaucoup d’entre nous, participer, c’est accepter : c’est une posture tranchante, difficile à expliquer, mais la cohérence avec ce que nous sommes l’impose. La propagande transhumaniste consiste à présenter ce projet comme en partie réalisé et inéluctable. C’est une technique d’acceptabilité sociale : engager des « débats » pour nous habituer à trouver la chose normale.
Nous sommes vigilant-es aussi sur le terrain de la médecine car nous voyons bien que les promesses de Crispr-cas9, notamment de guérir des maladies, vont être un cheval de Troie pour les manipulations génétiques. Et pour le transhumanisme. Or nous sommes bien placé-es pour savoir que les promesses de la génétique n’ont pas été tenues jusqu’ici. On devait utiliser moins de pesticides, on en utilise encore plus ! Nous voyons les risques énormes de méthodes qui ne sont pas bien maîtrisées, et les dérives eugénistes qui sont certaines. Mais c’est difficile pour nous d’envisager des actions, nous restons des Faucheurs. Notre rôle est d’alerter sur l’amont des maladies, sur leurs causes, et donc sur l’environnement qui est devenu un facteur majeur de dégradation de la santé. Il faut sortir d’un système où les OGM créent les problèmes puis nous sont présentés comme le moyen de les résoudre.
Nous avons aussi tout un travail à faire pour démasquer les confusions sémantiques entretenues par la littérature scientifique.
Quels sont les autres sujets en débat aujourd’hui chez les Faucheurs ?
Les projets scientifiques et industriels sont toujours plus extrêmes, plus agressifs pour tout le vivant. Nous savons ce qui se trame dans les labos avec les nouvelles techniques, mais nous ignorons si leurs produits sont déjà dans les champs et nous devons nous adapter à ce contexte. L’imagination ne manque pas chez les Faucheurs pour envisager de nouveaux types d’actions et continuer à alerter. Augmenter encore la radicalisation du mouvement est une option, encore en débat… Mais quoi qu’il en soit, nous ne dévierons pas de la voie de la non-violence.
Propos recueillis par Danièle G.
C’est un projet d’investissements d’avenir (2). De 2012 à 2019, il associe dix institutions publiques, dont l’Inra au premier chef, et cinq entreprises privées dont par exemple le semencier Vilmorin. Son objectif : « Il ouvrira la voie à une génomique fonctionnelle à haut débit et une sélection végétale à la hauteur des défis à relever. » La présentation pour le public néophyte est claire : la France et « quelques pays européens » se privent de la transgenèse dans les champs, mais il reste indispensable de l’utiliser en laboratoire pour produire des OGM… qui seront cultivés !
Une première version de cette présentation de Genius annonçait de but en blanc que les travaux d’information et de réflexion éthique « pourraient à terme alléger la charge réglementaire pour les experts comme pour les demandeurs » ! Après une entrevue des Faucheurs avec le ministère de la Recherche, ce passage a été remplacé par une formulation plus vague et consensuelle…
(1) Sur le projet Genius, voir « Trois questions à Mireille Lambertin, faucheuse volontaire », Silence no 434, mai 2015.
(2) Le programme d’investissements d’avenir (PIA) a débuté en 2010, doté de 35 milliards d’euros, avec pour ambition de « préparer la France aux défis de demain ». Il finance de grands projets innovants dans les domaines stratégiques pour le pays, soutenant l’enseignement, la recherche et le développement des entreprises. On y jongle avec les milliards pour une vision de l’avenir qui passe par « la transition vers le monde numérique », « la chimie verte » ou le génie génétique…