Une entreprise d’acculturation, à la fois prégnante et souvent imperceptible, se déploie, passant par tous les médias, toutes les institutions. Il en va ainsi des Fêtes de la science, bureaux de valorisation de la recherche, « laboratoires participatifs » et autres « semaine du jardinage à l’école » organisée par le pro-OGM Groupement interprofessionnel des semences (1).
Saturer l’espace social
Citons encore quelques-unes des recommandations exposées dans un rapport de l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et techniques (OPECST) (2), intitulé « L’innovation à l’épreuve des peurs et des risques ». Veiller sur les réseaux sociaux « afin de prendre le pouls de la société et de pouvoir répondre aux interrogations dès qu’elles apparaissent. (…) Développer un système d’évaluation et de labellisation européen de l’expertise, afin de mettre un frein à la publicité donnée aux études d’experts autoproclamés. (…) Mettre en place un double cursus et des formations continues [dans le domaine scientifique] pour les journalistes, la haute administration, et les juges. » Les idées ne manquent pas pour infiltrer et saturer la société toute entière de cette seule croyance : hors la science, point de salut. Un terreau parfait pour la propagande OGM.
Désamorcer les objections très en amont
Seul le « débat public » ne semble plus guère recommandé, ou alors du bout des lèvres. Ainsi, lors de la deuxième audition publique de l’OPECST sur les biotechnologies (3), on apprend que la population, influencée par les « marchands de peur » (c’est-à-dire les écologistes), est radicalisée au point de préférer l’opposition frontale au débat et qu’en outre, des enquêtes auraient montré que, plus les gens sont informés au sujet des OGM, plus ils y sont hostiles ! Allez comprendre ! L’échec cuisant de précédents débats, perturbés par les militants, l’a fait comprendre à nos élites : le « débat » arrive souvent trop tard, il est préférable d’agir en amont.
A cette fin, l’intégration de la recherche en sciences sociales au sein même des projets biotechnologiques semble être une pratique utile. C’est le cas, par exemple, du projet Genius (voir ci-après l’entretien avec Annick Bossu), dont l’un des 15 partenaires est la faculté de philosophie Lyon 3. Nous ne préjugerons pas des motivations des chercheurs et chercheuses en sciences sociales. Mais du côté des projets biotechnologiques, le but est clair. Il s’agit, en « embarquant » sociologues ou « éthiciens » dans les projets, a minima de disposer d’une caution éthique, de désamorcer une partie des critiques en les « internalisant » et, autant que possible, de bénéficier d’analyses utiles pour mieux « communiquer ». Il y a là aussi un pas supplémentaire dans la démarche générale de la science qui, sous couvert d’autorégulation, construit son autonomie par rapport à la société.
Réduire et dramatiser les enjeux
Le lobby pro-OGM focalise son discours sur deux enjeux délibérément dramatisés. D’abord le thème de la sécurité alimentaire, dans le contexte de crise climatique et d’explosion démographique annoncée. Puis celui de la compétitivité de la recherche française, contrainte aujourd’hui à s’exiler hors d’Europe, ainsi que la compétitivité, voire la survie, de la filière agro-alimentaire, si porteuse de croissance et d’emplois… La dramatisation de ces enjeux vise à faire apparaître les OGM comme la seule solution à la hauteur des problèmes, à créer un sentiment d’urgence pour sa mise en œuvre, à justifier enfin le passage en force et le fait accompli.
Ces enjeux sont présentés sous la double facette des promesses (ce que permettront les nouveaux OGM) et des menaces (ce qui se passera si on ne les adopte pas). Sur le versant des promesses, c’est la surenchère et la fuite en avant : réitérer les promesses non tenues d’hier, en ajouter d’autres. Et les englober toutes dans une métapromesse de réconciliation : développement intensif et écologie, cultures OGM et cultures bio, hyper-sophistication technique pour faire comme les méthodes traditionnelles et la nature. Or, la négation des intérêts divergents est typique des tentatives de dépolitisation. Du côté des menaces, il suffit d’en choisir certanes et d’évacuer les autres. Ainsi, par exemple, les menaces du « tout génétique » sur la filière bio et les solutions alternatives ne sont jamais mentionnées.
La propagande pro-OGM s’emploie aussi à renvoyer la responsabilité des maux actuels et futurs sur les opposants, des rétrogrades technophobes qui font perdre un temps précieux à la résolution des problèmes. Elle feint d’ignorer que « la ligne de fracture ne passe pas entre les partisans et les opposants à la technique, mais entre ceux qui font des techniques des outils neutres, et du progrès technique un dogme non questionnable, et ceux qui y détectent un instrument de pouvoir et de domination, un espace où se combinent sans cesse des rapports de force qu’il faut dévoiler » (4).
Détourner le langage constitue la base des techniques de manipulation de l’opinion. Nous avons choisi dans ce dossier le terme de NTMG mais un terme plus fréquent est NBT (New Breeding Techniques). Or, le terme breeding renvoie à l’idée de sélection, mot utilisé depuis toujours pour les pratiques traditionnelles et patientes des paysans, soit à peu près l’inverse de ce que sont les NBT. Avec les NTAP, ou « nouvelles techniques d’amélioration des plantes », la notion d’amélioration est présentée comme allant de soi alors qu’elle est contestable. On trouve aussi l’appellation « édition génétique » qui suggère, par analogie avec l’informatique, que les techniques sont capables de réécrire le génome : analogie fallacieuse car on en est fort loin pour l’instant.