Le projet d’habitat partagé à La Colombine, grande maison dans laquelle vivent Claire et Pascal, agréés Famille d’Accueil, est né en 2009. Marie-Anne, déjà locataire depuis 2006 d’un appartement aménagé dans la maison, avait besoin d’être moins isolée. Avec la construction dans le jardin d’un chalet divisé en 2 appartements, pour des personnes qui ne voulaient plus vivre en institution spécialisée, la Colombine est devenue une Résidence Accompagnée convenant à des personnes en situation de handicap qui souhaitent quitter le milieu institutionnel pour une vie en milieu ordinaire.
Comment sont-elles arrivées ici ? Sylvie, qui fêtera en septembre sa huitième année à La Colombine, vivait chez sa mère, mais voulait son propre appartement. Si, au départ, elle avait « peur de ne pas arriver à se débrouiller toute seule », ses craintes se sont révélées infondées. « C’est un très beau chemin d’autonomie » apprécie Camille, son auxiliaire de vie.
Faire ensemble
Sylvie raconte son quotidien de locataire, autonome certes, mais d’un habitat partagé : « Je vais toquer à la porte du voisin quand je n’ai plus de produit vaisselle, je vais prendre le café chez lui. Je suis contente ». Son voisin témoigne des raisons de son choix : « j’avais le choix entre un logement HLM, ou un habitat partagé pour éviter de tomber dans la solitude d’un appartement ordinaire, et je suis bien content. Le ’faire ensemble’ c’est quelque chose que j’aime », même si Claire remarque que « on n’a pas envie, certains jours, notamment de faire le jardin, mais quand on voit le résultat on est satisfait ». Ce ’faire ensemble’ ne doit pas perçu comme une contrainte. Des personnes extérieures ont ainsi parfois jugé que les résident-es n’avaient pas de liberté. C’est pourtant un choix de leur part de vivre ici et non en institution. Avec cette indépendance de logement « on renonce à avoir le repas servi sur un plateau et toujours tout prêt et fait pour soi ». Mais l’autonomie va avec des obligations, qui incombent au lieu, même si Sylvie corrige « je ne me sens pas obligée de faire le jardin, j’aime cela, j’aime toucher la terre, j’aime que l’on fasse ensemble ici ». Et c’est ainsi que chaque mercredi tout ce petit monde se retrouve au jardin pour semer, planter, arracher l’herbe. Les locataires sont également un week-end sur deux à la Colombine ; c’est l’occasion de sorties, d’aller marcher, d’un repas partagé, chez l’un-e ou l’autre, ou au café du village.
Chacun-e a son chez-soi, mais ce sont ces temps de rencontre qui soudent le collectif, pour que l’ « on ne se perde pas ». Au quotidien, échanges de services et de visites informelles, à l’image de voisins qui s’entendent et font l’effort de partager plus qu’un espace commun, ponctuent la vie de cet habitat « partagé entre personnes ordinaires et personnes extra-ordinaires », comme se plaisent à le rappeler les membres de l’association. Il existe dans le règlement intérieur un code de bonne conduite auquel a souscrit chaque locataire à son arrivée. Ces règles sont donc consenties, et tout le monde était d’accord, dès le début, sur cet « effort de bon voisinage », un terme cher à La Colombine (et une idée qu’il serait peut-être bon de faire circuler dans tous les habitats).
Penser l’environnement également
L’écologie est une autre thématique importante ici. « L’écologie, la protection de l’environnement, l’alimentation, ces pratiques passent souvent à côté du monde du handicap » regrette Claire, mais ici on s’en préoccupe. Camille explique que les auxiliaires de vie abordent la question alimentaire, l’équilibre : « on essaie d’aller vers des produits de qualité, on privilégie les produits frais, on va au marché plutôt que d’acheter sous vide, on évite ce qui est très sucré ». Dans les gestes du quotidien, tout le monde est attentif aux économies d’eau et d’énergie, et on se rend ensemble chaque année aux Rencontres de l’Ecologie de Die. Ce souci de l’environnement s’est naturellement prolongé dans les trois logements, rénovés en matériaux non toxiques (liège au sol sous le carrelage et isolants naturels pour les murs), et dont l’eau chaude provient d’un chauffe-eau solaire. Système D et entraide primant, les travaux se terminent toujours par des chantiers collectifs, en faisant appel à toutes les bonnes volontés. Toutes les étapes de ce vivre ensemble se sont faites « à partir de rien au niveau budgétaire » rappelle Claire : le premier chalet comme la salle d’activités en 2014 ont été financés grâce à des prêts privés qui ont servi à constituer l’apport personnel, pour demander un prêt à la NEF. La rénovation de l’appartement de Marianne a été rendue possible par un financement participatif et un chantier collectif également.
Un habitat partagé et ouvert (sur le territoire)
Parmi les autres journées collectives, ouvertes, citons ce dimanche d’avril consacré au jardin : débroussaillage, réparation et construction de bacs pour les plantes, et stand d’échanges de graines sont au programme. L’association des jardins partagés de Crest a été contactée pour un partenariat. En avril également, La Colombine participe aux « Transversales », manifestation d’art contemporain. En mai c’est un concert qui est organisé. Tous ces moments, qui tissent un maillage relationnel en même temps qu’un véritable ancrage dans le territoire, ponctuent le quotidien. Ils font partie de la vie de l’association, qui a été officiellement créée en 2013. Une animatrice a été salariée pendant 2 ans, jusqu’en juin 2016. Aujourd’hui une équipe de bénévoles prend le relais de cette force d’animation, et cette forme associative est venue renforcer l’équipe des personnes qui vivent et travaillent sur place. La soixantaine d’adhérents étayent et participent de cet entourage bienveillant et dynamique.
Exemple de participation impliquée, celle d’Agnès, arrivée à Crest depuis quelques mois, qui raconte : « je vivais en logement accompagné à Montélimar, mais j’avais envie de quelque chose de plus léger, moins au quotidien avec des personnes handicapées ». Elle voulait au départ une place à La Colombine mais s’est rendue compte que le fonctionnement n’était pas forcément celui qu’elle imaginait. Très attirée par l’aspect associatif et déjà investie dans d’autres groupes, elle s’est montrée disponible pour donner des coups de main au gré des besoins, puis de plus en plus régulièrement, jusqu’à venir à La Colombine chaque semaine. Cela tombait à pic, l’absence d’animatrice ayant provoqué une période de flottement ; mais une nouvelle dynamique s’est enclenchée avec Agnès et d’autres bénévoles, ce qui a permis de remettre des choses en place, par exemple l’écriture d’une cyberlettre, et de continuer de proposer des spectacles et concerts sur place, grâce à une scène et à une salle qui peut accueillir une trentaine de personnes assises, et au moins le double debout.
(Re)mettre l’humain au centre
Parmi cette programmation culturelle, Claire et son équipe organisent, début juin, un week-end de soutien, en relation avec la problématique du retrait de son agrément (on lui reproche, entre autres, de ne pas coller à certaines exigences administratives). Elle confie finalement que « c’est un cadeau de ne plus avoir affaire à cette administration », dont elle déplore les complexités et les incohérences. Elle a déposé un recours au Tribunal administratif, espérant récupérer son agrément, même si elle devrait être à la retraite depuis le 1er janvier, mais ne veut pas arrêter son activité « pour ne pas lâcher les personnes avant l’heure » dit-elle. Une conférence gesticulée est prévue lors de ce week-end festif, sur le thème de la distorsion entre l’administration zélée et les projets à caractère humaniste, afin de pouvoir réfléchir sur la perte de prise en compte et de considération de l’humain, que ces services sont pourtant censés accompagner. Une occasion de se questionner et de se positionner : accepte-t-on cela ? De façon plus globale, est-ce qu’on laisse cette tendance de la société prendre le dessus, ou est-ce qu’au contraire on dénonce et refuse ce fonctionnement ? Claire veut « utiliser son expérience pour faire bouger les lignes, mettre en évidence les abus de pouvoir par rapport à des personnes qu’on est censées protéger ». Ce qui intéresse cette femme d’une soixantaine d’années, dont plus de 25 à accueillir, accompagner et vivre avec des personnes vues comme différentes, c’est de « chercher les possibles, ce qui se passe derrière le masque du handicap », ce qu’elle et toutes les personnes de La Colombine essaient de montrer au travers des ateliers, des rencontres, et du collectif qui se vit au quotidien. « On porte ensemble quelque chose de fort. Ce que l’on vit aujourd’hui on l’a construit tous et toutes ensemble, avec ceux et celles qui vivent ici, qui passent, qui aident, même de loin ». Il semble que ces valeurs se transmettent, puisque Noé, son petit-fils de 5 ans, décrit ainsi La Colombine : « Dans cette maison, on est tout le monde comme on veut. Avec la paix ».
Anaïs Zartaoui
• lespierrotsdecolombine@gmail.com
Claire Fouilhé Roulon, tél : 06 86 50 24 45