Avec les plantes transgéniques, en un sens le pot de terre a gagné contre le pot de fer. Le but des semenciers en Europe était d’avoir 50 % des surfaces cultivées en transgénique en 2000. Or, en 2016, on est à moins de 1 %. Cette victoire est le résultat d’une énorme mobilisation de citoyen-nes, de scientifiques, dont j’ai fait partie, de juristes, de politiques etc. Tout le monde avait été mis devant le fait accompli, les plantes transgéniques étaient dans les champs, ce qui justifiait des actions médiatiques comme le fauchage, plutôt bien perçu par la population. Le rapport de force était réel et immédiat.
Réorienter la lutte
Mais avec les nouveaux OGM, la lutte et la mobilisation publiques vont devenir plus compliquées. Les plantes modifiées avec les nouvelles techniques ne sont pas encore cultivées en France ni en Europe. La bataille va se déplacer sur le terrain juridique pour la reconnaissance du caractère OGM de ces plantes. Cela va être une affaire de spécialistes, plus vicieuse, plus difficile à suivre pour le public, plus décourageante. Et puis si pour chaque nouvelle technique, on doit dépenser la même énergie, on va s’épuiser !
C’est pourquoi je pense qu’il faut engager un combat différent, avec une visée de plus long terme et sur deux axes : se focaliser sur la brevetabilité qui est le dénominateur commun de toutes les techniques et dont l’enjeu est vital puisqu’il s’agit de la main-mise sur le vivant. Et changer la façon de faire de la recherche.
Changer la recherche
La recherche dominante en sciences du vivant est devenue une technoscience au service d’intérêts mercantiles à court terme et fondé sur le « tout génétique », soit une vision obsolète du vivant. Il faut en sortir et toçurner la recherche vers des problèmes d’intérêt général, appréhendés de façon globale, dans et pour la société et non pas en vase clos. Il s’agit notamment de faire de la recherche participative, en partenariat avec les citoyen-nes. Comment, par exemple, peut-on concevoir une recherche agricole sans les paysan-es ?
Cette conception différente de la science reste marginalisée. Nous n’avons pas seulement affaire aux lobbies industriels et financiers mais aussi à un lobby scientiste, tout aussi puissant. Ce lobby ne supporte aucune « ingérence », de son point de vue, dans le domaine de la seule « vraie » science, prétendument neutre. Alors qu’il s’agit, en biologie en tout cas, de technologies brouillonnes et mal évaluées. Changer la recherche suscite donc des oppositions féroces et ne se fera pas en un jour, mais c’est possible.
D’abord, la première objection sur une recherche participative généralisée est son financement. Je propose que l’on y consacre tout ou partie du crédit impôt recherche (CIR), qui est une niche fiscale pour les entreprises dotées d’une activité de recherche et développement, en échange de créations d’emplois que l’on attend toujours. Voir Sanofi, bénéficiaire de considérables abattements fiscaux au titre du CIR et ayant pourtant supprimé 2000 emplois en recherche et développement ces dernières années. Une enquête publiée en mars 2015 par Sciences en marche (1) montre que le CIR représente pour l’Etat, entre 2007 et 2012, un manque à gagner de 6 milliards d’euros. Les contribuables sont en droit d’exiger que cette masse d’argent soit employée autrement.
La recherche autrement : l’exemple du Picri OGM
Une science participative est d’autant plus possible que ça existe déjà, et ça marche ! Le partenariat entre institutions et citoyens pour la recherche et l’innovation (Picri), programme mis en place par la région Ile-de-France sous les deux dernières mandatures, en constitue un exemple. J’ai moi-même bénéficié d’un financement Picri sur quatre ans, associant l’université Paris-Sud, où j’ai mon labo, et les associations Générations futures et Criigen.
Il s’agissait d’étudier le principe d’équivalence en substances sur lequel repose l’évaluation officielle de tous les OGM dans le monde, et qui est utilisé pour déclarer que les aliments provenant d’un OGM sont aussi sûrs et nutritifs que ceux provenant de la plante conventionnelle correspondante. Ce principe ne repose sur aucun fondement scientifique et ne tient pas compte des éventuels effets de la modification génétique et des résidus de pesticides qui s’accumulent dans les OGM tels que ceux rendus tolérants au Roundup.
Notre recherche a été réalisée sur un champignon du sol utilisé à la fois comme organisme modèle de laboratoire et comme marqueur de la santé des sols. Or, elle montre qu’une exposition du champignon au Roundup à des doses très inférieures à la dilution agricole (puisque 80 % des plantes OGM sont conçues pour pouvoir le tolérer et en sont pulvérisées tout au long de leur vie) entraîne des perturbations de son métabolisme, notamment énergétique et respiratoire. Et ces effets, qui peuvent engendrer de sévères dysfonctionnements du métabolisme (donc de la qualité des aliments, lorsqu’il s’agit de plantes), restent observables à des doses très faibles pour lesquelles il n’y a pourtant aucun effet visible de l’extérieur. Ceci montre à quel point il est irresponsable de ne pas considérer les effets des résidus de pesticides dans l’équivalence en substance pour les OGM tolérant le Roundup.
Par ailleurs, dans le cadre de la bataille juridique que j’évoquais, il va falloir aussi fournir des arguments scientifiques pour contrer les allégations des pro-OGM. Ainsi sur l’argument de la prétendue plus grande précision, avancé par les promoteurs des techniques de type Crispr-cas9, il faut expliquer que ce n’est qu’une précision au niveau de la manipulation elle-même. Mais à l’échelle d’un organisme entier, et qui plus est, replacé dans son environnement, les techniques nouvelles restent tout aussi imprécises et aléatoires que celles utilisées pour les OGM « classiques ».
Christian Vélot
(1) Association de défense de la recherche
Christian Vélot participe à trois structures de la résistance du monde scientifique. Il est co-fondateur de l’ENSSER, le réseau des chercheurs européens engagés pour une responsabilité sociale et environnementale, membre du conseil scientifique du Comité de recherche et d’information indépendantes sur le génie génétique (Criigen) et administrateur de Sciences citoyennes, association œuvrant pour la réappropriation de la science par les citoyens-nes.
Chercheur-militant, témoignant dans les procès contre les Faucheurs et s’exprimant librement, en 2008 on a tout fait, au sein de son ancienne unité, rattachée au CNRS, pour l’éliminer du champ scientifique, jusqu’à supprimer ses crédits de recherche. Il aura fallu une vaste mobilisation militante pour que l’université Paris-Sud lui permette de continuer son travail, jusqu’à ce jour, malgré des conditions matérielles difficiles.