En 1985, le conseil municipal de Los Angeles organise une réunion publique afin de présenter le tout nouveau projet d’incinérateur qu’il est prévu d’installer dans South Central, quartier à majorité africaine-américaine. Si le site a été séléctionné pour « accueillir » cet incinérateur de déchets solides d’une capacité de 1600 tonnes par jour, c’est qu’un précédent rapport a déterminé les zones où la population est la moins susceptible de s’opposer à une telle construction. C’est donc en confiance que les élus municipaux présentent les nombreux avantages assortis au projet LANCER (Los Angeles City Energy Recovery project) : création d’emplois, nouvelles aires de pique-nique aménagées autour de l’incinérateur, etc. C’est sans compter sur la présence de Robin Cannon, africaine-américaine, informaticienne, mère de quatre enfants sujets à de trop régulières crises d’asthme pour qu’elle accepte sans mot dire la perspective de l’incinérateur. Devant le flot de ses questions, les élus préfèrent lui donner l’étude d’impact, persuadés sans doute qu’elle ne viendra pas à bout de pareille étude scientifique. C’est pourtant après l’avoir lue dans la soirée même que Robin appelle sa sœur et ses proches pour les prévenir : « Je pense qu’ils veulent nous tuer », dit-elle. Elle découvre en effet que l’incinérateur pourrait entrainer la contamination de l’air, de l’eau et des sols du quartier en rejetant des dioxines et autres composés fluorés toxiques.
Le porte-à-porte des « citoyennes concernées »
Avec d’autres femmes du quartier, elle fonde le collectif des Citoyen.ne.s concerné.e.s de South Central L. A., elle raconte : « Mon mari non plus ne m’a pas prise au sérieux au début... Il voyait juste tout un tas de femmes qui se réunissaient et était sûr que nous ne ferions rien... Je courais à la maison, je cuisinais, je lisais mes documents sur LANCER... après environ 6 mois finalement tout le monde m’a prise au sérieux. Mon mari a dû apprendre à consacrer plus de temps au baby-sitting ». Les membres du collectif étudient les données scientifiques, les textes de droit et les textes administratifs. Elles organisent des réunions, font du porte-à-porte pour informer les habitant.e.s de South Central. Elles prennent conscience qu’il ne s’agit pas seulement d’un problème de santé publique mais bien d’un problème politique, d’absence de pratique démocratique et de racisme systémique. Ainsi, alors même que ni la presse ni les organisations environnementales traditionnelles ne prennent au sérieux cette lutte menée par quelques mères de familles noires, elles réussissent à fédérer un important réseau d’organisations de quartier qui finit par faire reculer le conseil municipal et l’oblige à mettre en place un nouveau plan de recyclage. Cette lutte de deux ans fut une des premières du mouvement de justice environnementale, elle mit sur le devant de la scène des femmes ordinaires de milieux populaires et des minorités noires. Robin Cannon, devenue depuis une militante environnementale, et les autres femmes du collectif ont aussi permis de redéfinir l’environnement non plus seulement « comme la terre, l’air et l’eau mais aussi comme un espace social et économique ».
Isabelle Cambourakis
En novembre 2015, Silence a publié une grande affiche couleur intitulée « 100 dates qui construisent nos luttes féministes aujourd’hui ». Chaque mois, cette chronique permet de revisiter une date du féminisme.