L’actualité des derniers mois a remis un coup de projecteur sur les crimes policiers en France. Les cas d’Adama Traoré, tué par des gendarmes cet été, et de Théo Luhaka, violé par des policiers, ont fait l’objet d’une mobilisation rare. En France, où la presse est pourtant prompte à dénoncer le racisme de la police des États-Unis, et à saluer le mouvement Black lives matter, on a encore du mal à reconnaître l’ampleur de ces crimes, qui visent spécifiquement des jeunes descendants de colonisés. Ce n’est que grâce à une décennie de combat menés par les familles de victimes de la police, de Ramata Dieng aux Traoré en passant par Amal Bentounsi, que la colère contre l’impunité de la police en France a pris une telle force.
Des affaires étouffées
Le combat pour la vérité et la justice pour les victimes à l’intérieur des frontières n’est pas encore gagné, et il faut pourtant rappeler que la France a aussi une longue tradition d’impunité de ses militaires dans ses opérations extérieures, en Afrique particulièrement. Même au-delà de ces guerres, qui ne disent plus leur nom, l’armée française tue et viole dans la normalité de sa présence même « paisible » sur le continent. Pourtant, les militaires qui ont reconnu avoir assassiné Firmin Mahé en 2004 en Côte d’Ivoire, n’ont écopé que de sursis, et on est encore loin du procès d’un quelconque Français pour les crimes et compromission au Rwanda dix ans auparavant. Si récemment, les viols d’enfants en Centrafrique par des militaires français ont connu un certain retentissement, on retiendra surtout que la France a fait tout son possible pour étouffer ces affaires, et qu’une autre du même ordre, au Burkina Faso, est proprement passée aux oubliettes (1).
A l’intérieur comme à l’extérieur, l’impunité des corps armés
À l’intérieur comme à l’extérieur du pays, le gouvernement français s’illustre dans l’indécence en légiférant pour l’impunité de ses corps armés. A l’intérieur de l’hexagone, une loi donne désormais encore plus de droits aux policiers, qui pourront notamment ouvrir le feu plus facilement. Pour les opérations extérieures, le gouvernement Hollande a renforcé en plusieurs étapes l’impunité des militaires. Depuis 2013 (2), seul le parquet français peut déclencher une action judiciaire contre des militaires. Les victimes qui pouvaient auparavant porter plainte avec constitution de partie civile, dépendent donc maintenant du bon vouloir de magistrats soumis à l’Exécutif. Par ailleurs, des accords bilatéraux ont été signés avec de nombreux pays, qui excluent toute poursuite de militaires français devant les juridictions locales. Début 2017, une loi a allongé le délai de prescription (3) de la plupart des crimes et délits. Mais le Monde relève que « la question des crimes de guerre a été abandonnée, notamment en raison des inquiétudes sur le risque de poursuites contre des militaires français présents au Rwanda pendant le génocide. »
Pour les anciens colonisés, il n’aura pas fallu attendre que plane le spectre de l’extrême droite au pouvoir en France, pour voir un système d’État qui permet de les tuer tranquillement.
Mathieu Lopes
(1) A l’été 2015, quelques semaines après les premières révélations sur les viols en Centrafrique, deux militaires français étaient accusés d’agression sexuelle sur une fillette de 5 ans dans ce pays.
(2) Avec la loi de programmation militaire de fin 2013.
(3) Délai passé lequel il n’est plus possible de poursuivre les auteurs.