Lorsqu’on cherche des informations sur la ville de Munnar dans le Kerala en Inde, on trouve des blogs de voyage qui vantent la beauté des paysages de cette région productrice de thé. Les photos des collines douces recouvertes de théiers se succèdent sans que jamais ne soient évoquées les conséquences et les conditions de cette monoculture qui trouve son origine dans la colonisation anglaise. Les plantations appartiennent au grand groupe industriel Tata et à sa filiale Kanan Deval Hills Plantations qui règnent en maître sur des milliers d’ouvrièr-es du thé.
Autour de Munnar, le cœur de la « Tea belt », les femmes, qui représentent 70% des travailleurs/euses, sont en majorité d’origine tamoule. Ces migrantes assimilées aux basses castes occupent les emplois les plus exploités de la région : cueillette du thé, donc, mais aussi pelage des crevettes, traitement des algues, décorticage des noix de cajou, industrie du ver à soie... Pour survivre, il leur faut largement dépasser l’objectif de 20 kg de feuilles par jour du salaire initial et cueillir entre 60 et 70 kg pour obtenir le « bonus » correspondant à une augmentation de 20% du salaire.
En septembre 2015, les compagnies annoncent une réduction de ce bonus de 20 à 10%. Cela s’ajoute à une situation d’exploitation de plus en plus visible, les producteurs de thés réduisant ou supprimant les couvertures sociales, la gratuité des services de santé et les services scolaires qui étaient jusque là la vitrine de l’économie de type patriarcale du groupe Tata. Pour les travailleuses des « jardins de thé », la baisse du « bonus » n’est tout simplement pas viable et elles se mettent en grève, dénonçant tout à la fois l’exploitation par les compagnies mais aussi la corruption des syndicats qu’elles accusent de recevoir de nombreux cadeaux de la part des directions. Elles créent donc le mouvement Pembillai Orumai (Unité des femmes) et marchent le 1er septembre sur Munnar ou elles font un sit-in silencieux.
La grève de femmes des jardins de thé
Elles seront en grève pendant presque tout le mois de septembre 2015, revendiquant tout à la fois le maintien du bonus et une augmentation salariale. Elles occupent des locaux, marchent, se font entendre, s’opposent aux hommes syndicalistes qui tentent de les faire taire et de les ridiculiser. Ne sont-elles pas des femmes, des « Dalit », des intouchables, à la peau sombre, inexpérimentées, qui ne savent pas mener une grève ? Elles leur répliquent « La faim et la souffrance sont notre vie et nous nous fichons pas mal de mourir de faim mais nous n’autorisons personne à nous exploiter » et finissent par obtenir, à défaut d’une augmentation de salaire, le rétablissement du bonus. Fortes de leur succès populaire, les femmes de Pembillai Orumai obtiendront des sièges aux élections locales qui suivent la grève.
Le capitalisme fait circuler les produits que nous consommons, qu’il s’agisse du thé, du riz, de nos vêtements ; faisons en sorte que circulent aussi les voix et les luttes de celles qui les produisent.
Isabelle Cambourakis
En novembre 2015, Silence a publié une grande affiche couleur intitulée "100 dates qui construisent nos luttes féministes aujourd’hui". Chaque mois, cette chronique permet de revisiter une date du féminisme.