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Calebasse ; quels choix technologiques pour rester autonomes ?

La Calebasse, groupement d’achat local du Gard, a remis en question certains de ses outils informatiques et s’interroge sur la taille à ne pas dépasser pour rester « à taille humaine ».

En 2009, dans un coin de garrigue mi-péri-urbain, mi-rural, nous avons créé un groupement d’achat local : La Calebasse. Au delà des achats en direct à des producteurs locaux respectueux de la terre et des gens (1), nous connaissons mieux qui cultive nos paysages et nous avons plus de prise sur les choix de notre vie quotidienne. Côté pratique, nous faisons simple : ni stockage, ni local, ni salarié-e, ni commission sur les achats, ni compte en banque. Chaque famille est active pour éviter qu’une seule personne ne gère tout. Le plus grand nombre se sent donc concerné et n’utilise pas le collectif comme une épicerie bio discount. Et comme nous partageons plus que des sacs de nourriture, nous nous réunissons chez chacun-e d’entre nous, autour de joyeux repas collectifs.

Grandir sans s’alourdir : les "sous l’aile"

Après un an d’expérience collective, s’est posée la question de comment grandir sans s’alourdir ? Comme nos salles à manger ne sont pas infinies, nous nous sommes limités à 15 familles. Mais tout naturellement, chacun-e de nous a pris "sous son aile" autant d’ami-es, de voisin-es ou de proches qu’il le souhaitait. Un-e ami-e "sous l’aile" est une famille dont un-e adhérent-e prend en charge les commandes en les incluant aux siennes. Cela crée d’autres réseaux d’échanges conviviaux et le travail reste léger : les tableaux de commandes plafonnent à 15 lignes ! Cette organisation en sous-groupes nous a permis d’étendre le nombre de familles concernées sans compliquer la tâche, tout en incluant des personnes moins disponibles, plus éloignées, ou testant le montage d’un collectif. Des "sous l’aile" pouvant eux aussi prendre soin d’autres "sous l’aile", c’est une soixantaine de familles qui mangent dans La Calebasse.

Efficacité technologique

C’est dans ce contexte que nous avons eu récemment à ré-interroger nos outils d’organisation. Les manières d’organiser les commandes dépendent de qui les gère : du feuillet manuscrit au logiciel tableur. Dans le cas présent, il s’agit d’une commande par correspondance comportant toute une gamme. Pour faciliter la tâche, un tableau "Google Sheets" (2) a été mis en ligne. L’avantage est que chacun-e peut inscrire et modifier très facilement et à tout moment sa commande en se connectant au web. Les calculs sont automatiques comme avec un tableur hors ligne et c’est gratuit. Pour éviter du travail de répartition, les "sous l’aile", doivent s’inscrire avec leurs coordonnées, passer commande en ligne et se déplacer à la livraison, au lieu de passer par un membre de La Calebasse. Cependant, ce nouveau procédé fait pour nous simplifier la vie, n’a pas fait consensus.

Des objections

- La holding Google stocke les données tout en gagnant de l’argent par la revente des habitudes de consommation des internautes ainsi pistés, ce qui devient nettement moins « gratuit ».
- Quelle est notre marge de liberté quand une multinationale possède à la fois les serveurs stockant les données, de très nombreux logiciels (3) Web, hors ligne et mobile, et vend un système d’exploitation pour smartphone ?
- "Framacalc", l’équivalent en logiciel "libre" (4), de Framasoft (5) est une alternative qui ne piste pas les internautes et ne stocke pas les données mais certain-es n’en sont pas satisfait-es.
- Les données personnelles sur internet - même avec Framasoft - restent piratables.

Et des questions de cohérence

- Il y a un manque de cohérence à vouloir soutenir de petites structures agricoles en utilisant des outils monopolistiques.
- Certain-es d’entre nous sont parties prenantes de réseaux bénévoles d’approvisionnement en ligne et témoignent de l’engouement pour ces méthodes peu impliquantes pour l’acheteur et d’un volume de livraisons quadruple au nôtre. Avons-nous envie de devenir une plate-forme de vente pour des gens avec qui nous ne partagerions que l’acte d’achat ?
- Cet outil permet d’organiser plus simplement des aspects complexes ou chronophages de la vie collective. Mais "plus simplement" seulement dans la mesure où n’est pas considérée l’ampleur des technologies qui produisent cette facilité d’utilisation (6).
- Nous sommes unanimes sur le fait que notre fonctionnement en sous-groupe de personnes ayant des liens entres elles génère du sens, nous permet d’avancer lentement mais sûrement, en remuant les consciences autant que les sacs de nourriture, sans être confondu avec un "drive fermier", ou un "bon-plan-à-cliquer".

Outils proportionnés

Ce procédé ayant une efficacité à double tranchant, nous avons renoncé à son utilisation, préférant un tableur numérique hors ligne et que chaque membre continue de prendre soin de ses "sous l’aile" (7). Bien sûr, pour d’autres collectifs, d’autres méthodes seront plus appropriées, en fonction des priorités et des enjeux. L’autonomie totale étant inaccessible, il s’agit là de choisir les pans de nos activités sur lesquels nous porterons nos efforts autonomisants. En se fixant une limite, notre groupe a pris conscience qu’un outil proportionné générait du lien. Nous sommes en mouvement entre autonomie et hétéronomie (8), car nous devons souvent vérifier que les outils "efficaces" d’aujourd’hui accroissent vraiment notre autonomie et pas le contraire. C’est tout l’enseignement de ce choix apparemment anodin. Nous avons appris, tout en le faisant, que cette "proportionnalité", pour reprendre le mot d’Ivan Illich, n’allait pas de soi. Nous marchons sur des chemins à notre mesure : une créativité issue du goût des échanges tangibles, des réalisations sans tutelle et des rencontres joyeuses où l’on mange !

A. Strid
membre du Collectif d’Achat Local Écologique La Calebasse

La Calebasse, Collectif d’Achat Local Ecologique dans la région de Sommières. SS 14 lotissement Vallat de la Treille 30670 Aigues Vives – 04 66 80 34 75 – calebasse.info@free.fr – a.strid.info/la_calebasse.html

(1) Le groupement ne soutient pas l’agriculture biologique industrielle qui n’est pas socialement responsable, ni forcément locale et qui obéit à une logique de profit.
(2) Le tableur "Google Sheets" permet de créer des documents en ligne et de travailler en équipe, en temps réel.
(3) Google offre de très nombreux services "gratuits" allant de la bureautique, aux réseaux dits "sociaux", listes de diffusion, navigation GPS, messagerie, stockage/partage de média…
(4) Les logiciels "libres" offrent, par l’accès au code et par la licence libre : utilisation, modification, duplication, diffusion.
(5) L’association Framasoft sensibilise à la culture du "libre". Elle offre de très nombreux services. Un des buts étant de "dégoogliser internet". http://framasoft.net/
(6) Internet fonctionne avec des data centres remplis de serveurs, des milliers de kilomètres de câbles, des centaines d’équipements, sur terre et dans l’espace. Voir S!lence n°390, mai 2011.
(7) C’est à dire connaître les gens et leurs coordonnées, inscrire et rassembler les commandes et paiements, aller chercher l’ensemble des aliments à la livraison. Ceci limite forcément le nombre de "sous l’aile" au nombre de gens que peut "gérer" concrètement une personne.
(8) Qui reçoit la loi du dehors au lieu de la tirer de soi même.

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