Pour une ferme de quelques hectares, c’est une vraie ruche. La ferme des Vallées, loin d’être une exploitation agricole classique, accueille vingt-six adultes handicapés mentaux, assez autonomes pour ne pas être en structure médicalisée, mais pas assez cependant pour être mis en situation de travail rémunéré. Sauf qu’ici, il ne s’agit pas seulement de leur proposer des activités, mais bien de faire tourner un élevage diversifié — avec toutes les contraintes que cela comporte, comme traire les chèvres le dimanche et faire les foins avant qu’il pleuve.
Pour les classes qui viennent en visite, « c’est une découverte de l’univers de la ferme, de la différence et du handicap », explique Véronique Rosset, enseignante en arts plastiques et ancienne des lieux.
Tous les résidents y travaillent, chacun ayant ses spécialités. Comme Katia, qui nous accompagne, et qui s’occupe des chevaux, des oies et des chèvres. Il y a aussi les tâches ménagères, la confection des repas… Mais les éducateurs ne sont pas en reste : eux aussi enfilent bottes et cotte de travail pour s’occuper des animaux.
La ferme a aussi la particularité de détenir un élevage « conservatoire » : tous les animaux présents appartiennent à des races menacées, le plus souvent typiques de la région.
Cathy et Katia sont ici depuis l’ouverture du lieu, en 1992. « Ici, c’est bien, estime Katia. Il y a beaucoup de choses à faire. À la ferme, je m’occupe des chevaux, des chèvres. Le week-end, on sort beaucoup ».
À l’origine, le foyer a été conçu pour répondre à un problème rencontré par les responsables de l’Institut médico-éducatif Marc Signac (IME), situé dans la commune voisine : les enfants handicapés mentaux qu’ils accueillaient se retrouvaient souvent, une fois adultes, en hôpital psychiatrique. Avec l’aide du Conseil Général, l’Institut acquiert une petite ferme et, de différentes rencontres, émerge l’idée d’un lieu de vie communautaire.
Les débuts n’ont pas été simples : il a fallu former le personnel, certains éducateurs faisant de la résistance face à des tâches qu’ils n’estimaient pas dignes de leur statut. Pas de secrétaire, pas de femme de ménage, et puis pousser les brouettes de fumier.
« Les gens en foyer ou en hôpital psychiatrique n’ont rien à faire quand ils se lèvent, explique Olivier Rosset, l’un des fondateurs. Ici, quand ils se lèvent le matin, il y a les vaches qui attendent et qui ont faim, il faut ouvrir les portes aux poules... » Les comportements des résidents se sont apaisés, les doses de tranquillisants ont diminué.
Le lieu a évolué. Certains parmi les éducateurs regrettent un fonctionnement moins libre, un côté moins « grande famille ». L’élevage comme activité productive paraît un peu délaissé au profit de sa dimension éducative pour les résidents. La traite des chèvres n’a plus lieu deux fois par jour, mais seulement le matin pour libérer le personnel : à la place, les éducateurs développent les activités sportives.
Pour l’heure, les enfants du collège de Montpon repartent avec des fromages et des sourires ravis. L’un d’eux demande s’il peut venir travailler pendant les vacances. « Ça m’a surpris de voir les gens s’occuper des animaux, confie Lucas, je pensais pas qu’ils étaient autant capables ».
Hermine Rosset