Xavier Deleau a travaillé comme ouvrier agricole pendant une année dans une exploitation de maraîchage conventionnel. Il a pu mesurer la toxicité des produits utilisés et les inconvénients des grandes cultures. Licencié en 1991, il ne veut plus entendre parler de maraîchage. Alors qu’il aide un ami dans la région toulousaine, il a l’idée de demander une analyse de sol où s’était formé une mare suite à l’arrosage les plantes. Le résultat est effrayant. Cela l’amène à s’intéresser à l’agriculture biologique.
En 1995, il se lance comme épicier bio sur les marchés à Langres, Vesoul, Dijon, dans les foires locales et les petits villages. Il commence par les produits secs (huile locale, lentilles…) puis élargit sa gamme : d’abord du pain, puis des légumes frais provenant d’une ferme en biodynamie près de Troyes. Même en privilégiant le local, au fur et à mesure qu’il développe le nombre de produits, il doit faire de plus en plus de trajets.
Sa réflexion l’amène à penser qu’il pourrait produire une partie de ce qu’il vend. C’est le retour au maraîchage, mais cette fois, à sa façon.
Il découvre, sous les remparts Est de Langres, une ancienne exploitation horticole en vente, arrêtée depuis six ans, avec un hectare de terrain, quelques serres et une maison. Xavier Deleau s’associe avec une amie pour acheter le lieu en société civile immobilière (SCI). Ils partagent la maison, lui cultive les terrains.
Une agriculture en paix avec la nature
La première année de culture donne de bons résultats, mais pas la seconde. Notre maraîcher comprend que la première année, il a « bénéficié » des restes d’engrais répandus dans le sol du temps de l’horticulture. Il essaie de tout labourer pour nettoyer le sol, mais cela perturbe fortement les équilibres et, après deux ans, il se contente d’aérer le sol avec des outils à dents.
Xavier Deleau travaille à développer un compost de bonne qualité (équilibre entre azote et carbone), qu’il intègre ensuite au sol. Le compost, contrairement aux engrais, s’intègre bien dans les activités microbiennes et libère l’azote progressivement. Le compost dynamise le sol alors que les engrais classique tuent les micro-organismes, bloquent les réactions, polluent l’eau : « Les engrais et pesticides sont nés de la guerre et continuent à faire la guerre dans le domaine de l’agriculture. »
Xavier Deleau se forme à différentes techniques : cultures associées, préparations fermentées (avec l’utilisation de protocoles qui utilisent des plantes que l’industrie essaie de faire interdire, par exemple le purin d’orties).
Dans cette région humide, les limaces prolifèrent. Que faire ? Les ramasser et les détruire ? Mission impossible. Il essaie de limiter l’arrosage en été et constate que, s’il laisse les plantes monter en graines dans ces conditions, les plantes ressemées résistent de mieux en mieux à la sécheresse estivale, génération après génération. Il en arrive à faire les semis au printemps sous serre, puis à repiquer en pleine terre quand la saison pluvieuse se termine, en supprimant l’arrosage : toutes les plantes s’y sont faites, sauf les salades. Pour celles-ci, il les cultive au début du printemps, quand il y a encore beaucoup d’humidité, puis arrête à partir du mois de mai.
Sa recherche de diversité maximale l’amène à produire des dizaines de variétés de choux, carottes, courgettes, concombres, melons, courges, tomates, fraises, groseilles, raisin, ail… Il plante des arbres fruitiers : cerisiers, pruniers, pommiers, poiriers, noyers, noisetiers… et cultive entre les arbres. Il a fait de l’agroforesterie avant qu’on en parle ! Il a choisi des « hautes tiges », des arbres qui ne fructifient qu’au bout de cinq ans mais dont la durée de vie est beaucoup plus longue. Au début, il a acheté des plants provenant de l’Institut national de recherche agronomique (INRA), mais il a constaté que c’était un mauvais choix. Depuis, il achète ou échange des variétés anciennes, mieux adaptées aux sols locaux. Un arbre bien adapté développe un système racinaire profond qui ne gêne pas les cultures en surface. Xavier Deleau a déjà planté 200 arbres, jamais plus de deux de la même variété.
Se former au maraîchage
Xavier Deleau accueille des adultes en stage dans le cadre du brevet professionnel de reconversion agricole (BPREA), mais il estime que c’est peu intéressant pour eux : les stages sont trop courts pour suivre le cycle complet d’une plante. Il constate qu’« il y a beaucoup de rêves autour du maraîchage et pas toujours la compréhension que c’est un métier extrêmement prenant ». Xavier Deleau ne s’accorde qu’une semaine de vacances par an, mi-octobre. Du dimanche au mercredi, il est dans ses cultures, le vendredi et le samedi, il est au marché le matin et assure la vente à la ferme le soir. Reste le jeudi pour préparer le marché. Il prend sur son temps de travail en début de semaine ou le dimanche pour ses activités militantes.
Il accueille également des collégiens de 15 ou 16 ans en échec scolaire pour deux à trois semaines, mais seulement pour leur faire retrouver un rythme de travail. Selon lui, la motivation est plus importante que la formation (1).
Actif sur plusieurs terrains de lutte
Il y a de nombreuses parenthèses dans son emploi du temps classique car il est très actif dans plusieurs secteurs. Xavier Deleau est administrateur du Groupement des agriculteurs biologiques au niveau départemental (GAB52) et de la Fédération régionale de l’agriculture biologique (FRAB). Il soutient la Confédération paysanne. Il participe à une association locale qui travaille sur les questions de mobilité. Il fonce à Bure pour protester contre le projet d’enfouissement des déchets nucléaires chaque fois que c’est nécessaire. Enfin, il est membre actif des faucheurs volontaires d’OGM. Il regrette qu’il y ait si peu de militants disponibles dans la région : lui-même, avec un travail très prenant, arrive à dégager du temps, au détriment de ses revenus, mais il ne comprend pas pourquoi il n’y a pas plus de personnes prêtes à faire de même. Xavier Deleau cherche à s’associer avec une autre personne pour passer en SCOP, société coopérative de production (2).
M. B.
• Les Jardins du plateau, 120, chemin du Miraux, 52200 Langres, tél : 03 25 90 22 88
(1) Xavier Deleau s’est formé tout seul : apprenti à 14 ans pour devenir cisellier-coutellier comme son grand-père, il a été refusé au CAP car il est épileptique.
(2) Pour postuler, il faut avoir un BPREA et au moins trois ans de pratiques.