Dossier Population Société

Suède : des polyhandicapé-es dirigent leur association

Eve Gardien

En 1992, à Stockholm, un groupe de parents a créé l’organisation non gouvernementale (ONG) JAG afin que leurs enfants, tous polyhandicapés, puissent décider librement de leur vie, sans être mis en institution par défaut. Magnus Andén, lui-même polyhandicapé, préside JAG depuis ses débuts.

La naissance de Magnus Andén a été difficile. Il a subi une atteinte cérébrale sévère. Pour communiquer, ce dernier ne s’exprime pas en suédois. Il bouge seulement deux doigts, prononce quelques sons et regarde intensément son interlocuteur. Magnus est polyhandicapé et a besoin de soins et d’accompagnement 24h sur 24.

Sa famille a tenté de vivre une vie ordinaire, à l’image des autres familles de leur quartier. Les difficultés liées à l’état de santé de Magnus faisaient partie du quotidien, chacun vivait avec. Et surtout vivait avec Magnus. Mais le contexte social de l’époque était défavorable à ce type de choix. Les enfants handicapés étaient alors massivement institutionnalisés. À 4 ans, Magnus entre lui aussi en institution. À A partir de ce moment, saon état de santé se dégrade considérablement. Il refuse de s’alimenter. Les médecins pronostiquent son décès avant l’âge de la scolarisation en raison, disent-ils, de sa lésion cérébrale.

L’assistance personnelle révèle un potentiel inattendu

Trois années passent. Gerd Andén, soutenue par son mari et sa fille, décide alors, contre l’avis du plus grand nombre, de reprendre Magnus au domicile familial. La municipalité de Stockholm a promis de financer quelques heures d’aide humaine par semaine, mais aucun soutien n’est obtenu pour l’aménagement du logement. Il faut faire face. Gerd renonce à sa vie professionnelle pour s’occuper de Magnus. 
La famille Andén déménage dans une localité proche de Stockholm plus sensible au problème. La municipalité accepte d’aider à l’aménagement du logement. Gerd rencontre une assistante sociale et obtient le financement de 40 heures par semaine – — un volume horaire inédit à l’époque - — d’ « "assistante personnel" ».
Son fils développe des capacités jusqu’alors insoupçonnées ! Une véritable révélation : il est donc possible de traiter les enfants polyhandicapés autrement que par une institutionnalisation. L’alternative offre même de sérieux avantages en termes de développement et laisse entrevoir un potentiel inattendu.

Mobilisation des parents d’enfants polyhandicapés

Durant cette période, plusieurs parents dans la même situation nouent des liens forts avec Gerd dans une association nationale suédoise en faveur des enfants handicapés mentaux , : la FUB. Ces liens, forgés par l’expérience et l’épreuve communes, vont conduire à un militantisme politique fort. 
Un collectif de parents militants se mobilise autour de la cause de Gerd. Ils assurent un lobbying et adressent – — nous sommes alors en 1976 - — un courrier au gouvernement, aux régions et aux municipalités pour que tous les enfants suédois présentant les mêmes besoins bénéficient du traitement social accordé à Magnus Andén.

« "Egalité, assistance personnelle, vie en milieu ordinaire" »

Ce groupe de parents, et d’autres collectifs militants, obtiennent la décision parlementaire de fermer toutes les institutions accueillant des personnes handicapées en 1993 (Loi loi LSS) (1). Chacun vit donc en milieu ordinaire, chez soi, en famille ou encore dans des micro-résidences de cinq habitants au maximum. Ces parents décident alors d’aider leurs enfants à créer une l’association, JAG, dont ils seront les seuls administrateurs. Non seulement leurs enfants ont une vie qui vaut d’être vécue, mais ils peuvent également choisir
nombre de détails du quotidien avec des soutiens cognitifs adaptés. Ils sont capables de se battre pour choisir leur vie et aussi de décider du planning du personnel et le menu du déjeuner. C’est pour cela que quoi l’acronyme JAG est retenu pour désigner la nouvelle organisation : Jämlikhet, Assistans, Gemenskap (Égalitéégalité, assistance personnelle, vie en milieu ordinaire).
Parents et enfants, avec le soutien de fonds de l’Étatl’Etat, mettent en œuvre un dispositif expérimental d’assistance personnelle. Les adhérents de JAG sont tous, sans exception, des personnes présentant des déficiences intellectuelles qui limitent voire empêchent l’usage de la langue suédoise. La plupart d’entre eux présentent en outre des incapacités majeures associées, physiques notamment. Ils sont souvent aussi sous mesure juridique de protection limitant leurs responsabilités civiles et pénales. Les catégorisations de « "polyhandicap" » ou de « "handicap complexe" » sont probablement les traductions les plus justes pour désigner en français les adhérents de JAG

Suivi personnalisé des assistants


Comment penser un dispositif permettant leur inclusion dans la société ordinaire, au cœur de Stockholm ? Parents et enfants relèvent le défi.

Pour permettre une qualité de vie meilleure, l’accompagnement au quotidien est pensé et organisé avec chaque adhérent de JAG. La personnalisation de cet accompagnement est poussée au maximum. Une équipe dédiée est réunie autour de chaque adhérent. Aussi les professionnel-les peuvent apprendre efficacement le langage non- verbal de la personne handicapée et pousser leur niveau de compréhension suffisamment loin pour lui permettre une vie autodéterminée. L’adhérent doit pouvoir décider par qui, quand et où il est accompagné.

JJAG rassemble aujourd’hui quelque 400 adhérents et 4 000 professionnels. Le modèle économique est bien rôdé rodé après vingt années d’existence. Les moyens financiers ne manquent pas pour investir dans la formation : les assistants personnels, les superviseurs, les curateurs, les comptables, les juristes et les personnes handicapées elles-mêmes sont conviés à des formations communes. Elles favorisent des moments d’échange utiles pour mieux comprendre les situations telles qu’elles sont vécues de chaque côté.

Eve Gardien

Adapté d’Eve Gardien, « "​En Suède, Magnus et ses amis polyhandicapés dirigent leur association", » paru le 19 avril 2016 sur Histoires Ordinaires ordinaires

La loi d’ « "assistance personnelle" » ou de « "désinstitutionalisation" » stipule que tous les moyens financiers auparavant consacrés aux institutions permettent désormais aux personnes handicapées atteintes de grande déficience intellectuelle, de déficience motrice et d’autisme de vivre en milieu ordinaire aidées d’une assistance personnelle.

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