Dossier Population Société

Ecouter des voix n’est pas une maladie

Le réseau Hearing Voices (Entendre des voix) est formé de centaines de groupes d’appui mutuel dans trente pays. Ces groupes auto-organisés de manière horizontale entre personnes qui connaissent une même expérience, leur permettent de partager des stratégies de gestion de leurs voix et de leurs vies.

« La façon traditionnelle de s’occuper des personnes qui entendent des voix consiste à leur donner une médication très forte pour supprimer ces voix, ces expériences étant vues comme une maladie, estime Jacqui Dillon, présidente du réseau en Angleterre. Pourtant, de nombreuses personnes ont senti que cette approche n’était pas d’une grande aide. »

« Il s’agit d’une expérience réelle »

« La première chose est de reconnaître qu’il s’agit d’une expérience réelle, car on a traditionnellement dit aux personnes internées dans des unités de psychiatrie que les voix n’étaient pas réelles, qu’il fallait faire comme si elles n’étaient pas là et prendre leurs médicaments, et on les a fait ainsi se sentir plus folles. C’est pour cela que la première chose qu’il faut leur dire est : ’C’est réel et cela arrive vraiment.’ Cela est vraiment important car cela revient à valider et à reconnaître la réalité de ces personnes », poursuit-elle.

« Aider les gens à améliorer la relation avec leurs voix »

« Nous essayons de donner des messages d’espérance aux gens, en expliquant qu’il y a beaucoup de personnes qui connaissent cette expérience et continuent à vivre leur vie. Nous les aidons aussi à connecter leurs voix avec des événements qui peuvent avoir eu lieu dans leur biographie. L’objectif ultime est d’aider les gens à améliorer la relation avec leurs voix. Il ne s’agit pas de se libérer de celles-ci. »
Pourquoi ces voix se manifestent-elles chez certaines personnes, et qu’est-ce qui les provoque ? Elles peuvent apparaître « de manière subite dans la vie de quelqu’un et souvent après une expérience traumatique, ou encore quand la personne se sent seule », estime Jacqui Dillon. « L’un des exemples de souffrance sur lesquels de nombreuses recherches mettent l’accent est l’abus sexuel infantile. Il semble y avoir une relation forte entre les expériences de ce type et le fait d’entendre des voix plus tard. Souvent, l’isolement et le fait de ne pas être en capacité d’en parler ont un impact. »

« Une capacité que j’ai et que n’ont pas d’autres gens »

« Avant la psychiatrie, les voix faisaient partie de l’expérience humaine. Et, dans beaucoup d’endroits du monde, elles sont considérées comme un cadeau, ou simplement quelque chose de normal, qui fait partie de l’être humain. Pour moi, continuer à entendre des voix ne constitue pas un problème. Cela enrichit ma vie, et je ne le vois pas comme quelque chose qui doit me rendre honteuse. Je le vois comme une capacité que j’ai et que n’ont pas d’autres gens. Donc pour moi, le travail ne consiste pas à se défaire d’elles mais à changer la relation avec elles, de manière à ce qu’elles améliorent ta vie au lieu de l’angoisser. »

Un réseau horizontal pour échanger sur ses voix

« Dans la société, les voix sont le symptôme d’une des maladies les plus stigmatisantes : la schizophrénie, poursuit Jacqui Dillon. Quand on parle de ces expériences, beaucoup de gens se sentent honteux, isolés. C’est pour cela qu’il y a quelque chose de très puissant dans le fait de se réunir avec d’autres personnes qui partagent ces expériences. A travers le groupe, des personnes commencent à s’aider entre elles, à comprendre ce que peuvent signifier leurs voix. Beaucoup ont la sensation de se sentir acceptées et compries pour la première fois dans leur vie, ce qui est, au final, ce que nous souhaitons tou-te-s en tant qu’êtres humains. »
« Je m’émerveille du fait que de nombreux professionnels s’intéressent à cette approche, conclut Jacqui, et j’espère que les familles s’investiront, car une partie de ce qui a fait le succès de cette approche est l’implication des membres de la famille
. »
Traduit et adapté de Diagonal n°252 p. 26-27.

Vincent reprend le pouvoir sur sa vie avec les entendeurs de voix

A l’âge de 11 ans, Vincent Demassiet subit des violences sexuelles, qu’il garde pour lui. A l’adolescence, il commence à entendre des voix qui le rabaissent : « T’es un nul… ». Envahi par ces voix, il fait alors des tentatives de suicide. « Je passais de plus en plus de temps à l’hôpital psychiatrique, avec des traitements qui me dégradaient de plus en plus. Je pesais 204 kilos. Je passais ma vie devant la télé. Quatre-vingt pour cent de mon temps, j’entendais et je voyais des choses. Les 20 % restants, je ne pensais qu’à cela. »
Lors d’une conférence, Ron Coleman, auteur d’ouvrages sur le sujet, s’adresse à lui et nomme son problème : « Bonjour, tu es Vincent et tu es entendeur de voix. » « Enfin, je retrouvais mon identité, témoigne Vincent. Je n’étais plus le schizophrène qui obéissait à tout le monde, j’étais Vincent, entendeur de voix. » Il rejoint alors le groupe des entendeurs de voix de Mons-en-Barœul.
De réunion en réunion, Vincent retisse le fil de sa vie et retrouve le chemin des émotions. Les voix ? Elles sont là lorsqu’il tombe amoureux. Les émotions ? Ce sont celles qu’il a ressenties pour la première fois en présence de son violeur. Progressivement, il baisse les doses de médicaments et apprend à donner rendez-vous à ses voix, et même à les envoyer balader. Il suit les conseils des autres entendeurs : faire des fiches où sont notés les mensonges des voix, par exemple. « Un jour, je me suis fâché et leur ai dit qu’elles mentaient parce que ma mère m’aimait, que beaucoup de gens m’appréciaient. J’avais enfin des armes contre les voix. J’ai repris le pouvoir sur ma vie en reprenant le pouvoir sur mes voix. »
Aujourd’hui, Vincent a repris son métier et s’investit beaucoup dans les rencontres des entendeurs de voix où il joue le rôle de facilitateur, dans les formations organisées par le Réseau français sur l’entente de voix (REV France), dans des congrès pour porter son expertise d’usager…
« J’ai repris le pouvoir sur ma vie. Je n’entends presque plus de voix. J’en ai une qui intervient quand je me mets trop de pression, comme lorsque je fais une intervention dans un congrès de psychiatrie. Pas de problème, je lui dis ’Stop’, mais elle m’est bien utile car elle me fait comprendre que je suis stressé. C’est un avantage par rapport aux autres conférenciers. Il y en a d’ailleurs qui me disent : ’Vincent, tu ne pourrais pas nous la prêter ?’ »

Adapté de Marie-Anne Divet, Histoires ordinaires, 20 février 2015

Réseau français sur l’entente de voix (REV France), www.revfrance.org, admin@revfrance.org

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