L’engagement de militaires français en Libye est un secret de polichinelle. Les hommes de main du Commandement des Opérations Spéciales (COS) sillonnent depuis des années le désert du sud du pays, pour des missions et des résultats que le gouvernement ne daigne pas communiquer à l’ensemble des citoyens. On sait désormais, notamment grâce au quotidien Le Monde (24 février 2016), que ces mêmes forces spéciales œuvrent désormais dans le nord du pays. Cette présence semi-officielle, que le ministère français de la Défense cherchait désespérément à occulter, se double d’une autre totalement clandestine, celle des barbouzes du Service Action, le bras armé de la Direction Générale de la Sécurité Extérieure (DGSE, un des services secrets français). Le 20 juillet 2016, l’existence de cette dernière a dû être pleinement assumée par l’exécutif, et pour cause : trois agents du Service sont morts dans le crash d’un hélicoptère. Selon l’agence de presse Associated Press, l’hélicoptère aurait été abattu par la Chambre des opérations pour la libération dʼAjdabya, un groupe armé lié à la Brigade de défense de Benghazi (lemonde.fr, 21 juillet 2016). Mais pour la France, il s’agit seulement d’un accident d’hélicoptère…
Double jeu français
C’est que celle-ci se retrouve dans une position délicate : officiellement, elle soutient le gouvernement d’union nationale libyen, mis en place sous le patronage de l’ONU et dirigé par Fayez el-Sarraj, qui s’est installé à Tripoli fin mars 2016. Ce gouvernement est en conflit avec le Parlement de Tobrouk, jusque là seul reconnu par la « communauté internationale », mais qui bloque désormais le retour à un gouvernement unique dans une Libye divisée. Or, auprès de qui étaient engagés les hommes du Service Action ? Auprès des forces du Parlement de Tobrouk, dirigé par le controversé général Khalifa Haftar, soutenu par l’Égypte et qui, en septembre 2016, a fait main basse sur les installations pétrolières du pays. Ou comment mettre en lumière le double discours de la France, qui annonce d’un côté soutenir la solution politique qu’elle a contribué à imposer sous l’égide de l’ONU, et de l’autre maintient sa coopération militaire avec la faction qui empêche la pleine installation du gouvernement issu de cette solution politique. Devant tant de duplicité, le gouvernement d’union nationale libyen n’a pas manqué de demander des comptes aux autorités françaises (lefigaro.fr, 26 juillet 2016). Celles-ci ont invoqué les nécessités de la « lutte contre le terrorisme », élément de langage censé justifier tous les coups tordus.
La guerre en Libye fait débat… ailleurs
L’envoi en catimini d’une cinquantaine de forces spéciales a pourtant déclenché un débat national… mais pas en France. En Italie le « soutien logistique » discrètement envoyé par Matteo Renzi a agité les médias et la classe politique cet été. Il faut croire qu’en Italie, la presse et la classe politique sont moins bien dressées qu’en France. Chez nous, on peut envoyer des forces spéciales soutenir un gouvernement imposé par l’ONU et dans le même temps des forces clandestines soutenir le bras armé qui le combat, tout le monde s’en fout...
Yanis Thomas et Raphaël Granvaud