L’histoire des Earthships commence au début des années 70. Tout juste diplômé d’architecture, Michael Reynolds est convaincu qu’un mode de vie économiquement et écologiquement durable commence par repenser l’habitat.
Scandalisé par le gâchis des ressources autour de lui, il se demande comment tirer parti des déchets pour construire. Et pourquoi pas les pneus ? Chaque jour 800 millions de pneus sont produits dans le monde. Après 3 ou 4 ans d’usage, ils s’entassent dans d’immenses décharges à ciel ouvert. Dans le meilleur des cas ces pneus sont "recyclés", c’est-à-dire brûlés dans des cimenteries… Michael Reynolds a l’idée de les utiliser tels quels en compactant de la terre à l’intérieur pour construire des maisons. Une fois les murs enduits pour les protéger de la pluie et du vent, peu de visiteurs devineront comment ils sont faits !
D’autres matériaux usagés sont également utilisés avec un rôle plus esthétique, comme les bouteilles de verre qui font entrer des rayons multicolores dans la maison.
Rejoint petit à petit par toute une équipe de gens convaincus par sa démarche, Michael Reynolds se lance dans toute sorte d’expériences. L’objectif se précise : concevoir des maisons à faible empreinte écologique. "Nous devons trouver le moyen de subvenir nous mêmes à nos besoins fondamentaux : nourriture, logement, traitement des eaux usées, déchets… Imaginez si 5 milliards de personnes commencent à produire leurs propres énergies, les multinationales ne pourront plus vendre leurs produits, et finiront par disparaître !" s’exclame Michael Reynolds.
Entre hybridations et expérimentations
La force et l’ingéniosité des Earthships ont été de s’inspirer de nombreuses idées déjà présentes dans le monde de la construction écologique pour les réunir dans un même bâtiment. En voici les grandes lignes :
• Le solaire passif pour chauffer la maison
Sur la façade sud (dans l’hémisphère nord) une grande baie vitré inclinée permet aux rayons du soleil de pénétrer profondément dans la maison en hiver – lorsque le soleil est bas – pour réchauffer les murs épais de la façade nord, semi-enterrée. Ces murs permettent d’emmagasiner la chaleur du soleil et de la rediffuser progressivement. Dans le désert du Taos, il peut faire jusqu’à -12° en hiver… mais grâce à ce système, ces maisons n’ont pas besoin de chauffage ! En été, les rayons du soleil n’entrent que dans la verrière, ce qui évite la surchauffe du bâtiment, mais permet d’éclairer les plantes.
• Une climatisation 100% naturelle
Pour rafraîchir la maison, les concepteurs des Earthships se sont inspirés du principe des puits canadiens. Un conduit passe sous les épais murs de la façade nord, et permet de rafraîchir l’air qui y circule. Lorsque la température de la maison devient trop élevée l’ouverture du conduit permet à l’air frais de s’engouffrer dans la maison et de faire monter l’air chaud qui s’échappe par les fenêtres de toit.
• Un cycle de l’eau exemplaire
L’eau de pluie qui s’écoule sur le toit est récupérée dans de grands réservoirs. Les eaux grises de la douche et de l’évier sont acheminées dans la serre pour être filtrées par des plantes avant d’être conduites dans les toilettes. Les eaux noires (toilettes) s’écoulent ensuite dans un bassin de phytoépuration à l’extérieur de la maison. Une alternative intéressante pour les plus réticents aux toilettes sèches !
• L’autonomie énergétique
Toute l’énergie du Earthship provient des panneaux solaires sur le toit, parfois couplés avec une éolienne domestique. Les deux installations alimentent des batteries capables d’alimenter la maison même en cas de mauvaises conditions météo.
Gagner le droit d’expérimenter
En 2015, plus de 20 000 visiteurs sont venus sur les lieux ! Chaque année 250 étudiants de tous âges des USA, d’Europe, du Japon viennent apprendre les bases de la construction lors des cessions de formations.
Aujourd’hui les Earthships ont le vent en poupe. Mais la vie n’a pas toujours été un long fleuve tranquille pour Michael Reynolds a dû mener une longue lutte pour obtenir des permis de construire. Michael et son équipe revendiquent que c’est en prenant le risque de faire des erreurs que les innovations émergent. Pendant les cours qu’ils donnent dans le cadre de l’Earthship Academy, ils racontent avec humour leurs tâtonnements et leurs essais-erreurs.
Suite à une lutte de plusieurs années, Michael Reynolds et son équipe ont finalement obtenu le droit de poursuivre la construction d’Earthships à Taos et de se livrer à toutes sortes d’expérimentations sur un terrain d’environ un hectare. Mais pour Phil, cette victoire ne s’est pas faite sans concessions : "Les premiers modèles n’avaient pas du tout de ciment dans leur structure, mais lorsque les autorités ont retiré la licence d’architecte de Mike, on a dû employer des ingénieurs extérieurs pour obtenir des permis de construire. Aussitôt nous avons dû introduire du béton dans les poutres et les fondations. Puis le recours au béton est peu à peu devenu systématique (…). J’aimerais que nous revenions un peu à nos racines, mais les codes de constructions nous freinent…"
Les limites de l’aide humanitaire
Forts de leur succès dans les pays occidentaux, Mike et son équipe souhaitent partager leurs savoirs dans les pays plus pauvres (notamment après des catastrophes naturelles, comme aux Philippines, en Haïti, au Malawi…) en développant des modèles moins coûteux.
Mais Phil nous avoue les limites de cette démarche. Car, comme de nombreuses ONG, Earthship Biotecture est pris dans certains écueils de l’aide au développement… "Quand on intervient dans un pays après une catastrophe on veut faire les choses que l’on sait faire pour aller vite, en utilisant les matériaux auxquels on est habitué comme les pneus ou le béton par exemple… ce qui n’est pas toujours adapté ! Je serais partisan de rester plus longtemps sur place pour comprendre la culture, observer le climat, mieux identifier les matériaux locaux disponibles… Mais je ne sais pas si Earthship Biotecture pourra faire ça un jour. Peut-être que la meilleure chose à faire dans ces pays serait de travailler à partir des techniques de constructions traditionnelles et les améliorer : qu’elles puisent récolter et réutiliser l’eau de pluie, être mieux isolées et orientées…"
Il serait illusoire de croire qu’il existe un modèle d’habitat idéal adaptable en tout temps et en tout lieux ! Les bonnes idées sont faites pour être reprises, adaptées selon le climat, les ressources, les moyens financiers, la culture… De plus en plus de maisons hybrides voient le jour, et c’est sans doute ça l’avenir !
Chloé Deleforge et Olivier Mitsieno
Pour en savoir plus sur ces earthships et les autres initiatives que nous filmons, rendez-vous sur notre site www.eco-logis.org à la rubrique « carnet de route » et sur facebook : ecologis.project
• http://earthship.com/ (en anglais)
• Une BD sur les earthship : http://nepsie.fr/leblog/2013/12/22/la-maison-en-pneus/
• Un résumé des arguments pour et contre les Earthships : http://archinia.com/index.php/58-publications/publications/216-earthship-pros-and-cons
• Un chantier de construction participatif en Dordogne : http://www.habitetaterre.fr/
Earthship Biotecture propose des réalisations "clé en main". Dans la commune de Ger en Normandie, l’équipe de Michael Reynolds est venue en 2008 construire le premier Earthship d’Europe avec l’aide d’artisans locaux. La construction a nécessité 5 mois de travaux. Le coût total s’est élevé à 190 000 € pour une surface de 120m².
L’autre option est d’auto-construire pour adapter son Earthship à ses envies et son portefeuille. Même si le coût est alors largement réduit, il n’en reste pas moins que les baies vitrées, le système d’alimentation en énergie et celui de filtration des eaux sont assez onéreux.