Silence : Vous vous définissez comme un "homme pro-féministe" et vous animez le blog Singulier masculin qui se donne pour vocation de "déconstruire le masculin en pratique". Quel est l’objectif de ce blog et pourquoi avoir pris cette initiative ?
Chester Denis : J’avais été très surpris de constater que j’ai pu me tenir au courant du féminisme durant très longtemps et me sentir donc la conscience « nette », sans avoir rien remis en question en moi-même ; comme si je n’étais pas concerné. (1) Après une brève tentative de groupe « d’alliés pro-féministes », j’ai voulu continuer par un blog.
J’ai été confronté moi-même à la difficulté de la mise en pratique ! Ma compagne a plus d’une fois mis le doigt sur mon paternalisme et mon inconstance. Enfin, je voulais réagir à l’idée qu’il suffirait d’éduquer les jeunes garçons à l’égalité par des consignes maternelles adéquates, alors que ce serait « foutu » pour les mâles adultes. Selon moi, on incorpore le stéréotype masculin (« l’idéal viril ») autrement que par des messages : des modèles, des rituels, toute une culture et des passages obligés. Construire et déconstruire le masculin, en se consacrant au « Comment » plutôt qu’au « Pourquoi », voilà donc l’objectif.
Quels vous semblent être les dangers et les difficultés du pro-féminisme au masculin ?
Ecoutez plutôt l’avis des femmes ! J’ai traduit sur mon blog un texte d’une québecoise, « Comment être un allié masculin du féminisme ». Les hommes veulent toujours avoir le pouvoir, le dernier mot. Au point de gommer même la perception des interventions féminines : on les perçoit comme un brouhaha à ignorer.
Danger aussi de faire de la « mec-xplication » : ’je sais mieux que les féministes ce qu’elles devraient revendiquer et comment le faire’. Voyez aussi ceux qui aujourd’hui s’opposent à la « non-mixité » de réunions féministes, qu’ils prennent comme un crime de lèse-majesté.
L’important, selon moi, est plutôt de faire évoluer les hommes, de relayer le message féministe auprès d’eux. Et c’est très difficile. Il y a beaucoup d’hommes qui s’y sont engagés individuellement, c’est vrai ; mais il n’y a pas de partage et de progression entre eux, ni de visibilité. Alors l’inertie, l’idée que seuls les autres abusent... mais aussi le travers de l’entre-soi des hommes, qui renforce vite l’identité virile, nous font retomber dans le comportement du ’plus commun masculin dominateur’ ! Comment nous soutenir mutuellement dans ce travail sur nous sans tomber dans l’entre-soi ou l’inertie ? Je ne sais pas. (2) L’association « Zéromacho » lutte pour l’égalité et notamment pour l’abolition de la prostitution, par la répression des clients, des ’prostituteurs’. Elle est peu connue...
Vous développez dans un texte dont Silence publie ici quelques extraits, l’exemple du partage des tâches ménagères au sein d’un couple hétérosexuel. Quelles stratégies concrètes développez-vous pour partager les tâches domestiques du quotidien ?
Soyons clairs : un investissement concret dans les « taches ménagères » est surtout l’occasion pour l’homme de travailler sur soi, de ressentir concrètement la domination masculine qu’il exerce au quotidien. La critique féministe radicale va bien plus loin (les hommes pratiquent l’exploitation gratuite des femmes, de leur corps et de leur travail). Je n’ai proposé ici qu’un premier pas qui montre combien les structures genrées sont présentes en nous, et qu’un changement à la marge est indispensable mais totalement insuffisant.
Propos recueillis par Guillaume Gamblin
Le blog de Chester Denis Singulier Masculin : https://singuliermasculin.wordpress.com
(1) Je dois ce constat à l’animatrice du blog www.crepegeorgette.com qui avait l’art de repérer le biais « masculiniste » des commentaires à ses articles assez radicaux.
(2) Mon blog rencontre plus d’écho chez les femmes que chez les hommes (ils se cachent ?).