Le 28 mai 2013, la photo d’une jeune femme en robe rouge se faisant gazer par la police turque fait le tour du Web. Ceyda Sungur n’est pas une activiste aguerrie mais elle a ce jour-là rejoint avec d’autres étudiant-es le campement monté la veille dans le Parc Gezi à Istanbul. Depuis le mois d’avril, en effet, une poignée d’écologistes et de riverain-es s’opposent à la reconstruction à l’identique d’une caserne ottomane devant accueillir un centre commercial, dans le centre-ville, à l’emplacement du seul espace vert. Ils et elles s’installent donc dans le parc pour empêcher l’abattage des arbres et subissent rapidement l’assaut des forces de l’ordre qui usent de gaz lacrymogène et de canons à eaux. Mais la répression transforme le mouvement en mouvement de contestation du gouvernement d’Erdogan et, à partir du 31 mai, des manifestations géantes s’organisent à Istanbul et dans le reste du pays. La place Taksim sera occupée jusqu’au 15 juin.
« Que Tayyip se taise, que les femmes parlent ! »
La photo de Ceyda Sungur, devenue égérie malgré elle, ne doit pas cacher la présence des autres femmes et personnes LGBTQI (1) en première ligne des manifestations. Ainsi voit-on, au milieu d’une foule hétérogène, des drapeaux arc-en-ciel symboles de la communauté LGBTQI accrochés aux statues de la place Taksim ou encore les tissus violets qui tapissent les stands tenus par les « féministes socialistes ». L’importante présence des femmes et minorités sexuelles s’explique par la politique réactionnaire de Tayyip Erdogan en matière de droits des femmes et des minorités. Les menaces sur le droit à l’avortement, la politique fortement nataliste du gouvernement, la restriction sur la vente de la pilule du lendemain, etc. n’augurent pas d’un avenir radieux pour les femmes. A Erdogan, les femmes crient : « Que Tayyip se taise, que les femmes parlent ».
Féministes laïques et musulmanes se retrouvent côte à côte sur la place et dénoncent ensemble l’augmentation des violences domestiques qu’elles subissent les unes et les autres. Yasemin Öz, avocate des droits LGBTQI, explique pour sa part que « les parcs sont des symboles historiques pour les militant-es LGBTQI », ajoutant : « Si nous perdons le parc Gezi, nous allons perdre nos vies privées tôt ou tard ». Des centaines de mères viennent à partir du 11 juin former une chaîne humaine autour du parc, affirmant : « Nous allons protéger nos enfants mieux que la police ».
On connaît hélas la suite : la dispersion dans la violence, à Istanbul et dans d’autres villes de Turquie, la mort de plusieurs manifestant-es, l’interruption momentanée du projet Taksim, la répression de la Gay Pride d’Istanbul fin juin 2013 et son interdiction les trois années suivantes... On sait aussi depuis cet été qu’Erdogan profite d’une tentative de coup d’Etat militaire pour baillonner tou-tes les opposant-es. Pendant ce temps, les projets néo-libéraux teintés d’ottomanisme du MégaIstanbul sont bien entamés, qu’il s’agisse du troisième pont, du nouveau « Kanal » ou de la construction du « plus grand aéroport du monde » visible depuis la lune. Espérons que de la lune on pourra voir des femmes en rouge s’y opposer.
Isabelle Cambourakis
(1) LGBTQI : Lesbiennes, gays, bisexuel-les, transgenres, queers, intersexes.