A contre-courant des pratiques locales et diminuant drastiquement ses investissements matériels, il n’en produit pas moins du bois de qualité ! Avec sa tronçonneuse et son tracteur forestier, il défriche une nouvelle approche de la forêt landaise et diffuse les connaissances acquises avec l’association Pro Silva. Il fait ainsi la démonstration des qualités et des atouts insoupçonnés du pin maritime.
Tempête et changement
Jacques Hazera est issu d’une famille bourgeoise propriétaire de terres dans le massif landais depuis plusieurs générations. En 1985, son père décède. En 1987, Jacques prend en charge les 400 ha de forêt familiale et s’y installe en 1989. Avec un petit tracteur et une tronçonneuse, il commence à mener des travaux. Il apprécie cette activité extérieure.
Mais la question économique est délicate. Pendant plus de dix ans, pour répondre aux besoins financiers de sa famille, Jacques réalise 4 à 5 ha de coupe rase par an puis replante. « Malgré le travail que je fournissais, je n’arrivais pas à équilibrer nos comptes », explique-t-il. Mais la catastrophe survient. « Le soir de la tempête Martin, en 1999, je me suis dit : ’Je ne peux pas poursuivre dans cette voie. Je reste en forêt, mais je change quelque chose.’ » Les trois années suivantes, le forestier s’acharne d’abord à sauver le navire familial du désastre financier lié aux dégâts.
Rencontre inspirante avec Didier Müller et Pro Silva
En 2003, l’expert forestier Didier Müller propose à Jacques un stage. Ce dernier obtient en 2006 un brevet de technicien supérieur de gestion forestière, diplôme minimum pour devenir expert. Au préalable, il enchaîne les stages avec des organismes comme l’Institut pour le développement forestier et les centres de formation agricole. Enfin, en 2010, à près de 60 ans, Jacques devient, comme il le dit, « jeune expert forestier ».
Jacques est tout à la fois plein de respect et d’exaltation quand il évoque le rôle de Pro Silva (voir encadré) et de Didier Müller dans son évolution : « J’ai beaucoup appris grâce à Pro Silva, notamment lors des tournées, source importante d’apprentissage. Tout cela m’a permis d’acquérir la technique forestière que j’ai pu ensuite mettre au service de mes orientations sylvicoles. »
Une approche différente de la forêt landaise
Quand Jacques hérite du domaine familial, la « forêt » n’est faite que de vastes plantations régulières de pin maritime, à l’identique du reste du massif landais. Dès le début, il est attiré par une approche différente. Il introduit des plants d’essences variées : pin maritime de Corse, pin sylvestre, bouleau, tulipier, etc. Et il observe tout ce qui peut lui donner des indications sur le fonctionnement naturel de l’écosystème.
En 2004, ayant adhéré à Pro Silva, Jacques multiplie les essais : provoquer la régénération naturelle, planter sans labour, laisser libre cours à la sélection naturelle…
Il laisse les semis s’installer sous les vieux arbres et former la relève. Il évite ainsi les coupes rases. Grâce à cette sylviculture, ses interventions sont plus ciblées et son travail est moindre. Plus de compétences, moins de fuel : les dépenses sont réduites d’autant. Le bilan économique de ce changement de pratiques est largement positif.
Accueil de visites
En 2009, un nouvel ouragan, Klaus, vient à nouveau dévaster la forêt landaise. Jacques Hazera et Didier Müller interpellent les décideurs au sujet des orientations sylvicoles de la région. Ils adressent un courrier au Syndicat des sylviculteurs du Sud-Ouest, qui ne répond pas.
Jacques crée le blog Pijouls, une mine d’informations où il partage sa vision technique, critique et… poétique de la filière et de la forêt landaise. Il travaille avec Didier à la rédaction d’un document complet sur les aspects sociaux et techniques de la sylviculture landaise, et propose la Sylviculture naturelle et continue® comme alternative.
Animateur de Pro Silva pour le massif landais depuis 2008, il accueille sur ses lieux d’expérimentation une quantité de visiteurs : Institut national de recherche agricole, administration forestière, techniciens, collèges, lycées, journalistes, forestiers étrangers…
Le pari de Jacques est réussi : la sylviculture proche de la nature avance dans les Landes. Il est de plus en plus souvent invité à participer à des réunions de travail, tenir des conférences, intégrer des conseils d’administration, ou même rencontrer des mastodontes de la filière. Il y répond favorablement avec un esprit ouvert et vigilant.
Recherche d’équilibre tous azimuts
Jacques présente sa logique de travail : « Dans la forêt, j’ouvre et entretiens les cloisonnements et les chemins, je fais le débardage, l’élagage, et parfois la coupe des gros bois. J’apprécie que la forêt ne soit pas juste un lieu de production de bois, qu’il y ait un équilibre entre tous ses occupants. J’ai instauré un permis de cueillette de champignons, pour réguler la quantité de cueilleurs et favoriser une relation de respect chez les promeneurs. J’accueille aussi les ruches de deux apiculteurs. »
En 2010, ses missions s’élargissent, grâce à son statut d’expert. Ses activités sont variées. Pour des notaires et des assurances, il estime la valeur de forêts, expertise les dégâts de l’ouragan. Pour des gestionnaires, il assure la maîtrise d’œuvre de chantiers de reboisement. Et il conseille en sylviculture des propriétaires locaux, avec une approche originale : il les aide à devenir autonomes sur le suivi de leur forêt. Aujourd’hui, ce travail intellectuel occupe la moitié de son temps et finance ses actions de bénévolat pour Pro Silva.
Pascale Laussel