Regroupés au sein d’une société coopérative, ils partagent les décisions et les responsabilités. Choix des chantiers et modulation du temps de travail en fonction des besoins de la SCOP (1) et de leurs aspirations personnelles : ce collectif s’organise avec souplesse et intelligence.
L’aventure d’une bande de copains qui voulaient devenir charpentiers
Christophe Quinchez, le plus ancien des salariés, raconte les débuts de l’aventure : « A l’origine du projet, nous ne connaissions rien à la construction mais nous voulions faire de la charpente et de l’accompagnement à l’auto-construction. Notre idée était d’embaucher des charpentiers expérimentés, de nous former à leurs côtés, puis de transmettre à notre tour le savoir-faire acquis. Nous avons créé l’association et, en 2006, comme nous avions envie de travailler en autogestion, sur un modèle horizontal, nous avons choisi le statut coopératif. Nous avons embauché un professionnel qui avait envie de partager ses compétences et avons pu créer la SCOP La BoisBoîte. »
Il poursuit : « Ensuite, nous avons travaillé avec d’autres professionnels. Ils étaient nos référents techniques, et nous, nous nous occupions des approvisionnements et du lien avec le client. Quant à avoir le temps de se former au métier, nous ne le trouvions jamais. Alors nous sommes partis à Toulouse pour obtenir un certificat d’aptitude professionnelle de charpentier bois, en formation par alternance. Deux d’entre nous ont poursuivi avec un brevet professionnel. Dès 2009, nous étions devenus autonomes sur les chantiers conséquents. Aujourd’hui, l’équipe s’est renouvelée mais l’esprit reste. »
Vers un métier manuel et intellectuel
Lhoussine El Hamri est ariégeois. Educateur sportif dans des écoles et des centres scolaires, il décide d’arrêter ce métier : « J’étais frustré de ne rien faire de mes mains, de ne pas savoir construire une maison ou fabriquer une table. J’avais besoin de toucher la matière, de la transformer (2). » Même besoin chez Christophe : « Je voulais du concret. J’ai pensé à la charpente, je suis allé voir des chantiers. Quand j’ai découvert la conception, la géométrie descriptive, ça m’a passionné, j’ai plongé dedans. »
« Nous sommes viscéralement attachés à un travail artisanal »
L’équipe de La BoisBoîte réalise chaque année une dizaine de chantiers : charpentes, bâtiments en bois, couvertures, pose d’isolations et de parquets. Même si la charpente traditionnelle comporte plus de risques et est moins rémunératrice que la couverture, l’équipe rêve de pouvoir se consacrer uniquement à cette activité.
« Aujourd’hui, la tendance est au dessin et à la découpe numériques, explique Lhoussine. Tout est calibré, anticipé. Les charpentiers en sont souvent réduits à mettre des clous dans des morceaux de bois pré-taillés. Ils sont privés du plaisir de tracer la structure dans l’espace, d’observer le bois, ses nœuds, de s’adapter à ses contraintes. Bientôt il n’y aura que des machines, et plus de charpentiers pour concevoir les ouvrages. » A La BoisBoîte, pas de logiciels pour concevoir, pas de machines pour tailler à la place des charpentiers. « Nous sommes viscéralement attachés à un travail artisanal, explique Nicolas. Cette manière de travailler nous coûte du temps, nous enlève certainement des marchés potentiels, mais c’est celle que nous préférons. Nous aimons ce que nous faisons, nous y sommes très investis. Pour nous ce n’est pas seulement un travail ! »
Ces propos révèlent toute la problématique à laquelle l’activité est désormais confrontée. « Les métiers du bois ont été complètement bouleversés par l’évolution technologique, et notamment par le développement du préfabriqué, poursuit Christophe. Economiquement, ce processus industriel écrase tout. Sans compter qu’il entraîne la disparition des savoir-faire et uniformise les constructions. »
Retrouver le lien à la forêt pour maîtriser l’approvisionnement
Le bois, lui, est un matériau vivant, à portée de main dans nombre de régions. « Dans nos forêts, il y a de très bons arbres pour la charpente, confie Vincent Simon. Mais comme ils ne répondent pas aux critères industriels et aux nombreuses normes actuelles, beaucoup partent en bois de chauffage, voire en pâte à papier. C’est dommage. » Comme ses associés, il a envie de donner plus de sens à son activité en travaillant avec les forestiers. « Jusqu’à présent, La BoisBoîte a réalisé une vingtaine de chantiers incluant le sciage », poursuit Christophe.
Accompagner la construction bois
Rapportée à la durée de vie de l’habitation, la charpente traditionnelle ne coûte pas cher. Mais le travail de qualité que proposent les artisans de La BoisBoîte a un coût immédiat supérieur à celui du marché industriel. Pour que cette qualité d’habitation ne soit pas réservée à une élite, ils accompagnent chaque année des clients qui optent pour l’autoconstruction. Ils leur font les plans, la conception, et les aident à devenir rapidement autonomes pour les tâches les plus faciles à partager. L’équipe apprécie cette formule : « Nous le faisons pour avoir une autre relation avec nos clients. L’expérience est très enrichissante avec ceux qui s’engagent dans l’autoconstruction par envie, plaisir et désir d’apprendre. Elle l’est moins avec ceux qui cherchent uniquement à faire des économies. »
Aujourd’hui, les clients se présentent d’eux-mêmes, le bouche-à-oreille fonctionne. La BoisBoîte ne communique pas. Mais la question se pose sérieusement, car c’est en orientant le profil de leur clientèle que les charpentiers pourront vraiment choisir le travail qu’ils feront.
Pascale Laussel
(1) Société coopérative ouvrière de production
(2) Lhoussine et Nicolas, présents au moment de ce reportage, ne sont plus aujourd’hui salariés de la coopérative ; cependant, Lhoussine en reste associé.
Contacts : La BoisBoîte, Cazals, 09 000 Brassac, tél : 06 71 02 99 58, contact@laboisboite.com, www.laboisboite.com
Côté rémunération, les salaires sont égaux et ajustés au temps réel travaillé. Grâce à ce système, Christophe a pu prendre le temps de rénover sa maison. Si le chiffre d’affaires est relativement stable depuis le lancement du projet, les conditions de travail s’améliorent : réduction des distances parcourues, rémunération des frais, mutuelle, etc.
« Parfois, c’est délicat pour nous, car certains clients veulent des choses lisses et aseptisées, explique Christophe. Ils réagissent mal aux imprévus. Notre savoir-faire nous permet de réagir et de nous adapter à la matière, mais nous ne pouvons pas tout contrôler. Lorsqu’il est coupé et scié, le bois travaille. Les planches, par exemple, peuvent se déformer. Il ne faut pas paniquer, c’est normal. »