Pour Olivier Schneider, la France est actuellement mal adaptée à la pratique du vélo : « il est difficile de se passer de l’automobile en dehors des métropoles », lorsqu’on habite à la campagne (1) . Point de fatalité là-dedans : il cite en exemples l’Allemagne et les Pays-Bas, où les usager-es des trains de banlieue peuvent laisser leur vélo dans une gare de départ, alors qu’un autre les attend dans un parking sécurisé à l’arrivée (2). Le vol et le sentiment d’insécurité sont parmi les freins à la (re)mise en selle du grand public. Des stationnements abrités et sécurisés en nombre suffisant, partout (domicile, travail, écoles, commerces), permettent d’investir sans crainte dans un vélo de qualité. De même, des voies cyclables larges et continues, couplées à une vitesse réduite des transports motorisés — là encore, la « ville 30 » —, pourrait être la solution.
Dépasser les a priori
Olivier Schneider pointe l’influence des représentations sociales sur le comportement (voir encadré) : en dehors des grandes villes, « le vélo a une image de transport pour pauvres ou d’écolo-bobo ». Dans les villes moyennes demeure cette image de « c’est bon pour la santé, c’est agréable, mais pourquoi faire l’effort lorsqu’on trouve facilement une place de parking et qu’il n’y a pas ou peu d’embouteillages ? ». L’impact de l’automobile est pourtant dévastateur sur le cadre de vie et sur la sociabilité en milieu urbain ; la rue a perdu son rôle d’espace de rencontre.
Les espaces pris à la voiture et rendus aux piétons et cyclistes, s’ils suscitent au départ l’opposition, sont pourtant plébiscités dès leur mise en place. En témoignent des avenues interdites aux véhicules motorisés le week-end (à Guatemala City et à Madrid), les berges des fleuves réaménagées (à Lyon, et à Paris sur une petite portion), des centres-villes « rendus aux piétons » (à Bordeaux, Besançon, Dijon, entre autres). Une fois le pas franchi, personne ne songe à s’en plaindre : les commerçants y gagnent, la ville redevenue vivable retrouve son attractivité.
« Pour changer les mentalités et les pratiques, il faut inciter les gens à expérimenter ce mode de déplacement sur des distances inférieures à 2 km, aujourd’hui encore majoritairement parcourues en voiture », nous dit Olivier Schneider. Les vélos loués ou prêtés par les municipalités, s’ils ont un coût économique, donnent l’occasion de tester le vélo, de dépasser les a priori (temps de trajet, météo soi-disant peu favorable, tenue adaptée). Qui y a (re)pris goût achète ensuite sa propre monture.
En théorie, tout le monde sait que le tout-voiture est intenable, en termes de pollution, de nuisances sonores et visuelles, de réduction de l’espace public ou d’insécurité. Et en pratique ? Le président de la FUB conclut : « Il ne faut pas essayer de convaincre les gens, il faut analyser les leviers à actionner et créer l’envie en créant des conditions favorables à la pratique du vélo pour tous. » Stationnement sécurisé, espace partagé, représentations sociales modifiées : un trio pas si difficile à mettre en place, et tout à gagner — à bon entendeur (politique)…
Anaïs Zuccari
(1) Mais pas impossible ! Voir le dossier du no 317 de Silence : Vivre à la campagne sans voiture ?
(2) Le vol est le deuxième obstacle à la pratique du vélo en France. Les articles L111-5-2 et R111-14-4 du Code de la construction et de l’habitation obligent à prévoir « le stationnement sécurisé des vélos » lors de la construction de nouveaux bâtiments (logement ou lieu de travail) qui disposent de places de stationnement pour automobiles.
Selon Christophe Enaux1, « l’image du vélo est plutôt positive », mais il reste un loisir dans l’imaginaire collectif, et, globalement, « les enfants et adolescent-es rêvent plus de scooters, surtout à un âge où l’influence des pairs est très importante ». Si, à grands renforts de publicité, la trottinette est devenue un mode de transport incontournable pour tous les âges, pourquoi le vélo ne le pourrait-il pas ? La publicité joue sur l’image, l’affect, la renommée. Le chercheur pointe que le problème de la bicyclette réside dans « la dimension symbolique qui tourne autour de la voiture : liberté, réussite sociale, son aspect m’as-tu-vu ». Il s’est intéressé aux représentations cognitives des modes de transport : certes, il existe des critères objectifs de choix, comme la distance à parcourir, mais les attitudes et représentations sont très importantes et influent beaucoup sur les comportements. Nul doute que, si les magazines féminins déclaraient que le vélo est LA tendance du moment, l’engouement serait énorme ; idem si une célébrité influente annonçait qu’elle s’est forgée un corps de rêve en pédalant — à quand les VTT rouges et rutilants dans les clips de musique hip-hop ? Les footballeurs en vogue s’affichant sur leur deux-roues ? D’où le marketing de mobilité, qui propose d’appliquer au vélo les outils de communication utilisés par les constructeurs automobiles (après le greenwashing, le bikewashing ?).
Silence pro-pub, qui l’eût cru ? En tout cas pour une culture du vélo — et moins de propagande en faveur de la voiture. AZ