C’est un véritable bras de fer qui se joue en ce moment entre les pays d’Afrique de l’Ouest et l’Union Européenne (UE), à propos de la signature de l’Accord de Partenariat Économique (APE), euphémisme pour désigner l’accord de libre-échange voulu par la Commission européenne et l’Organisation Mondiale du Commerce.
Depuis 1975 et jusqu’à présent, les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) peuvent exporter leurs productions sans droits de douane vers l’UE, tout en maintenant des taxes à l’importation pour les marchandises européennes. C’est pour mettre fin à ce traitement jugé préférentiel, qui n’a pourtant pas empêché le continent de s’appauvrir, que l’UE exige, avec les APE en cours de négociation avec différentes régions (Afrique de l’Est, Afrique australe, etc.), la libéralisation quasi totale des échanges commerciaux : dans le cas de l’Afrique de l’Ouest, il lui est demandé de supprimer ses droits de douane sur 82% des importations européennes. Cela revient à mettre en compétition la zone économique la plus riche du monde avec l’une des régions les plus pauvres.
Une relation de subordination à l’Europe
Les conséquences de cet APE pour l’économie des pays ouest-africains seront désastreuses. Les pays perdront des revenus considérables liés aux droits de douane : la perte cumulée est estimée à environ 30 milliards d’euros sur les 20 premières années, autant d’argent en moins pour l’éducation, la santé, par exemple. Les petites entreprises, les exploitations agricoles, les industries locales naissantes subiront de plein fouet la concurrence avec les multinationales européennes. À terme, c’est la souveraineté alimentaire et économique de l’Afrique de l’Ouest qui est gravement menacée.
Preuve que l’UE est parfaitement consciente de ces difficultés à venir, elle s’est engagée à fournir à l’Afrique de l’Ouest 6,5 milliards d’euros d’aide au développement sur cinq ans. D’une part, il ne s’agit que du redéploiement de fonds déjà existants, et d’autre part, l’existence même d’un tel programme de développement prouve que l’APE ne crée pas un partenariat économique réciproque et égalitaire mais maintient au contraire les pays d’Afrique de l’Ouest dans une relation de subordination, héritée de la colonisation : il place ces pays dans l’obligation de quémander une aide financière à l’UE pour s’adapter à des règles strictes et inéquitables imposées par cette même institution.
Maintenir la pression citoyenne
Après plus de 10 ans de négociations, dictées par les pressions intenses de l’UE mais aussi par les résistances émanant de la société civile et des États africains (en particulier en 2007), la signature de l’APE est aujourd’hui imminente mais peut encore être stoppée. En effet, les négociations terminées, il revient désormais à l’ensemble des pays de la région ouest-africaine de signer l’accord ainsi qu’au Parlement européen de le valider (la signature des États européens étant elle d’ores et déjà acquise). Or avant l’été, deux pays ouest-africains refusaient toujours de signer (le Nigeria et la Gambie) et le Parlement européen est censé voter en septembre : c’est donc le moment ou jamais de créer et maintenir une pression citoyenne auprès des eurodéputé-e-s, en faveur de la souveraineté de l’Afrique de l’Ouest – et, au-delà, pour les autres régions concernées par de tels accords.
Marie Bazin