Dans les années 1920, les villes du littoral breton vivent essentiellement de la pêche et de l’industrie de la sardine. À Douarnenez, on trouve une vingtaine de conserveries et l’usine Carnaud qui fabrique des boites de conserves. Quasiment toutes les femmes de la ville, hormis les femmes de notables, y travaillent. À l’arrivée du poisson, des jeunes filles courent dans les rues de la ville au cri de « À l’usine, à l’usine ! » et les ouvrières vont alors laver et faire frire le poisson parfois plusieurs jours d’affilée. Les fillettes peuvent y travailler à partir de 12 ans et il n’est pas rare qu’à 80 ans elles y soient encore. Pour ne pas s’endormir, ces femmes de tout âge chantent ensemble. Au milieu des chants en breton, on entend parfois des chants révolutionnaires. Le 20 novembre 1924, une grève part de l’usine Carnaud. Depuis l’entrée des machines, les femmes ont remplacé les soudeurs et sont moins payées qu’eux. Elles débrayent et entraînent les jours suivants toutes les femmes des conserveries dans la rue. Douarnenez se remplit du bruit des sabots des ouvrières d’usines. Elles portent des pancartes à la main sur lesquelles on peut lire « Pemp real a vo » (Ce sera 1,25 franc) ; c’est ce qu’elles réclament à la place des 80 centimes qu’elles gagnent alors.
Six semaines et quatre jours de grève
Ces femmes n’en sont pas à leur première grève, certaines étaient déjà là lors de la grève de 1905 où elles ont réclamé et obtenu de ne plus être payées aux 100 sardines travaillées, mais à l’heure. Ainsi les contremaîtresses ne pouvaient plus les flouer sur le nombre de sardines lavées, mises en friture puis mises en boite. Si toutes les femmes qui se trouvaient dans la rue en 1924 n’avaient pas fait la grève de 1905, leur mère l’avait faite et leur victoire avait été transmise dans les chansons. La grève de 1924 ne se fait pas dans n’importe quel contexte. La mairie de Douarnenez est la première mairie communiste de France depuis 1921, Sébastien Velly le maire a été démis de ses fonctions par le préfet pour avoir voulu donner le nom de Louise Michel à une rue de la ville. Le nouveau maire, communiste lui aussi, apporte son soutien aux « Penn Sardin », comme on les appelle. Le mouvement des ouvrières s’amplifiant, les manifestations étant quotidiennes dans les rues de Douarnenez, des syndicalistes et journalistes de l’Humanité viennent, attiré.e.s par cette « belle grève de femmes », comme l’écrira Lucie Colliard, figure féministe, pacifiste et socialiste de cette époque. Le 5 décembre, un meeting sous la Halle de la ville fait venir 4000 personnes. Un ordre venant du ministre de l’intérieur demande à la police de charger la foule, des vieux et des enfants sont blessé.e.s, le sang coule. De leur côté, les patrons d’usine paient des briseurs de grève venant de Paris mais au bout de 6 semaines et 4 jours de grève, les patrons finissent par céder et augmenter les salaires des ouvrières, qui obtiennent aussi la reconnaissance des heures supplémentaires et du droit syndical.
Si, depuis,les conserveries ont fermé les unes après les autres à Douarnenez et que les femmes ont abandonné sabots et coiffes, les forces de l’ordre, elles, continuent à charger les foules. Reste un air de la chanteuse Claude Michel que l’on fredonne : « Un jour toutes ensembles les femmes se lèvent, à plusieurs milliers se mettent en grève ».
Isabelle Cambourakis