Dossier Agriculture biologique Alternatives Permaculture

Paysage et permaculture : un laboratoire aux pieds d’argile

Michel Bernard

Depuis 2000, dans un triangle coincé entre les lignes de TGV, Agnès Sourisseau mène une expérience de régénération des sols en comparant de multiples techniques.

Une base du chantier du TGV Est a été installée dans les années 1990 au niveau du croisement avec la ligne TGV Lyon-Lille. Sur 35 ha ont été aménagées des zones de stockage de matériaux, de stationnement des engins… Le site a aussi fait l’objet de fouilles archéologiques préventives qui ont perturbé en profondeur le sol initialement agricole. Dans le cadre législatif contraignant Réseau ferré de France (RFF) (1) à restaurer les milieux dégradés, ces terrains devaient recevoir un aménagement paysager, après le chantier, pendant une durée d’au moins cinq ans. Le contexte géographique présente toutes les caractéristiques d’un territoire périurbain où se retrouvent les infrastructures que la ville ne veut pas voir dans son enceinte propre : décharges de déchets inertes en provenance de toute l’Ile-de-France (2), lignes à haute tension, voie rapides, couloirs aériens.
C’est donc entre le bruit des trains et les montagnes de déchets qu’a commencé une expérience de reconstitution des sols. Agnès Sourisseau, paysagiste, a d’abord été prestataire pour RFF. Plus de 200 parcelles-test de 1000 m2 chacune ont été matérialisées pour y étudier l’évolution d’une reprise de biodiversité sur ce sol devenu presque minéral. Sur certaines, des arbres ont été plantés ; sur d’autres, des arbres ont été semés sur différents couverts (mulch minéral ou organique, en association à des semis herbacés…). Des traverses de chemin de fer ont été placées à la verticale pour borner les parcelles et inciter les oiseaux à s’y poser et jouer leur rôle de semeurs (certaines graines doivent être ingérées pour pouvoir germer) (3).
Chaque année, Agnès Sourisseau fait des comptes, dans le cadre d’un observatoire environnemental, pour comparer l’évolution des différents types de parcelles.

Poursuite dans un grand flou législatif…

En 2007, RFF n’a plus l’obligation de poursuivre la restauration des lieux. Une tolérance d’occupation des parcelles permet à Agnès Sourisseau de poursuivre le travail amorcé, mais aucune forme juridique n’encadre officiellemnt cette occupation. Aucune des démarches entreprises par Agnès Sourisseau n’a abouti auprès de RFF, qui reste propriétaire du foncier. Cette précarité fragilisait la recherche, l’observatoire écologique et l’entretien des 35 ha concernés.

Permaculture et régénération des sols

Agnès Sourisseau cherche alors un moyen de développer un projet économique sur les lieux afin de financer les expérimentations et d’entretenir les lieux. Elle installe une yourte, qui sert de salle de réunion, et une roulotte, qui sert de bureau (sans eau courante ni électricité). Elle structure ainsi de nouvelles zones de travail. Elle construit des serres à partir de fenêtres et de palettes récupérées, ouvre des zones de production sur les principes de la permaculture et de l’agroforesterie (verger, potager, pré-verger…) (4). Un troupeau de brebis de race rustique vit à l’année sur les lieux et contribue à la gestion en écopaturage, avec un contrôle strict des parcours pour observer l’influence du troupeau sur les parcelles tests (5). L’installation de bois mort favorise différents usages — ruches sauvages, perchoir, hôtels à insectes — qui aident à biodiversifier le site. Avec l’aide de bénévoles et de chantiers d’insertion, elle construit des locaux en argile (four à pain, bergerie)…
Pour faire remonter le taux de matière organique dans le sol, Agnès Sourisseau a mis en place un réseau de partenariat avec des producteurs de bio-déchets pour une valorisation dans les cultures (sous forme de mulch), de compléments alimentaires pour les animaux (poules, moutons, cochons, équidés). Sont récupérés des feuilles mortes, des tontes de gazon, des branches, des broyats de bois, des invendus de légumes de magasins bio, du marc de café d’un réseau de brasseries bio… Ce dernier sert, dans un premier temps, de support pour la production de champignons dans une remise à l’abri du soleil, puis comme nourriture pour les animaux, enfin pour enrichir le sol de certaines parcelles.

L’Ourcq fertile

Le canal de l’Ourcq, qui passe à proximité, permet la liaison avec Paris (par bateau, mais aussi par vélo, à cheval ou à pied). Depuis 2007, un système coopératif se structure autour des Monts-Gardés (le nom de la parcelle) et l’agroécologie afin de créer un nouveau terroir de l’Ourcq. Ce projet, porté par l’association A tout bout de champ, a pour vocation d’optimiser les flux aller et retour de diverses matières, et les échanges entre la ville et les champs. Certaines productions du bassin de l’Ourcq sont ainsi transportées par bateau, ainsi que des croisières, des événements culturels… autant de moyens pour faire valoir la mutation agroécologique en cours et qui devrait s’amplifier avec le temps (6).
Plusieurs agriculteurs voisins sont venus voir le résultat de ces parcelles expérimentales et ont eux-mêmes engagé un processus de changement de pratiques agricoles, en plantant des haies et des arbres dans une région où les champs se déroulent à l’infini.
Cela permet de lutter contre l’érosion du sol, de favoriser la biodiversité. Les arbres freinent les conséquences des périodes de sécheresse ou de trop fort ensoleillement, et contribuent à augmenter la quantité de matière organique du sol (7).
Les milliers d’arbres qui poussent maintenant sur place permettent à des élèves d’écoles d’agriculture voisines de s’initier à de nouvelles pratiques. Des formations techniques et pratiques sont organisées sur place pour différents publics. La présence d’action artistique est également lisible dans ce paysage inédit (8).
Si vous prenez le TGV, vous n’aurez qu’une seconde pour entrapercevoir ce site extraordinaire… Le mieux est encore de profiter des journées de stages autour de la permaculture pour en découvrir de près toute la richesse.

Michel Bernard

Poser un lapin ?

Le lapin est une préoccupation sur les lieux : ils prolifèrent le long des voies de chemin de fer (9). En arrivant à hauteur du site, ils découvrent les buttes de permaculture qui leur assurent le gîte et le couvert.
Pour assurer une poursuite des activités expérimentales et garantir la production de fruits et légumes, il est donc indispensable de piéger et chasser les lapins. Si vous êtes invités à manger sur place, vous aurez sans doute du lapin dans l’assiette ! De quoi alimenter les débats sur le végétarisme…

• Agnès Sourisseau, Les Monts gardés, 77410, Claye-Souilly, tél : 06 25 97 45 60, www.les-monts-gardes.com

(1) Réseau ferré de France, né en 1997, a été remplacé le 1er janvier 2015 par SNCF Réseau.
(2) Prétextant la création de murs antibruit, ces décharges forment des buttes pouvant atteindre une quinzaine de mètres de haut.
(3) Le plan de restauration a été mis en place initialement avec le soutien de l’Institut national de recherche agricole, du CEMAGREF, de la Chambre d’agriculture et de l’Institut du développement forestier. Le CEMAGREF, créé en 1982, est devenu en 2012 l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture.
(4) Elle constatera ensuite que les archéologues avaient découvert les restes d’un village gaulois juste là où elle a installé ses installations.
(5) On notera que les animaux sont totalement indifférents au passage des trains.
(6) Ourcq fertile, http://ourcqfertile.fr
(7) Voir également l’article sur l’agroforesterie, page xx.
(8) On peut y découvrir les arbres qui chantent de José Le Piez. Voir www.arbrasson.com
(9) Lors de notre passage, deux chasseurs longeaient à pied les voies du TGV pour en déloger les lapins sans fusil, afin d’éviter les accidents avec les trains !

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