Brève Chronique En direct de nos colonies Nord-Sud

Mayotte debout

Mathieu Lopes

La couverture médiatique des mouvements sociaux en France n’est déjà pas fameuse. Pour les luttes dans les départements d’outremer, le premier réflexe est de les ignorer simplement : ce n’est qu’après deux semaines de grève générale et d’émeutes à Mayotte que la situation a commencé à intéresser les rédactions. Ce mouvement avait commencé en réalité en novembre 2015 pour exiger les mêmes droits qu’en France hexagonale. En effet, malgré la départementalisation de l’île comorienne en 2011, le Code du travail n’y est pas pleinement appliqué, la semaine de travail est de 39 heures, le montant du RSA est diminué de moitié, beaucoup d’infrastructures manquent, entre autres inégalités flagrantes. Ce premier mouvement avait été suspendu suite à la mise en place de l’état d’urgence qui avait interdit la tenue de barrages. La loi El Khomri du printemps 2016 est venue raviver le mécontentement social à Mayotte, prenant la forme de manifestations massives et de blocage des voies de communication du pays. Des émeutes ont aussi eu lieu. Elles ont été présentées comme n’ayant pas de lien avec le mouvement, mais on peut supposer qu’elles sont le fruit du terreau socio-économique de l’île.
Les revendications intéressent moins les médias que « les violences ». Suite à la mort d’un « métropolitain » poignardé par des jeunes adolescents, une journée « île morte » avec une marche est organisée, très relayée médiatiquement. On apprend que 5000 à 6000 personnes y participent (quand on ignore toujours combien de personnes exactement ont participé aux manifestations et au blocage de l’île). Manuel Valls a annoncé un lot de mesures pour Mayotte : plusieurs, étalées sur le long terme, concernent la situation économique et ne sont pas toutes « encore totalement défini[es] », mais la seule déployée en urgence est un « plan contre l’insécurité » avec « un renforcement de personnels et moyens pour les forces de l’ordre » (Le Parisien, 26 avril 2016). Le procureur de Mayotte, Joël Garrigue, décrit lui-même les racines économiques de la « délinquance » : « les cambrioleurs ouvrent tout, y compris le frigo. Ailleurs, je n’avais jamais vu ça ».…
Rares sont les publications qui parlent dans le même temps d’une autre insécurité, massive et venant de l’État français. L’exacerbation d’une identité nationale française mène en ce moment à une « chasse aux étrangers » par des Mahorais qui expulsent de leur maison ceux qui étaient encore leurs concitoyens il y a quelques années. La Cimade dénonce l’inaction complice des autorités françaises. Il convient de rappeler que l’occupation illégale de Mayotte par la France (1), qui a dressé une frontière au milieu des îles comoriennes, tue régulièrement. Migreurop et d’autres rappellent que la militarisation de la frontière « n’a pas stoppé les déplacements ou les retours consécutifs à une expulsion vers Mayotte, mais a eu pour conséquence directe la mort en mer de milliers de personnes ». De ces morts-là, imputables à la politique coloniale, il n’en sera pas question.
Mathieu Lopes
Note de la rédaction : depuis l’écriture de cet article, la situation sur place s’est encore aggravée.

(1) Lire « Dossier noir n°19, Comores-Mayotte : une histoire néocoloniale » de Pierre Caminade, éd. Agone/Survie.

Survie, 107, boulevard Magenta, 75010 Paris, http://survie.org

Silence existe grâce à vous !

Cet article a été initialement publié dans la revue papier. C'est grâce à vos abonnements et à la vente de la revue que nous pouvons continuer à proposer des alternatives à la société consumériste et destructrice actuelle. Sans publicité, sous forme associative, notre indépendance et notre pérennité dépendent de votre engagement humain et financier !

S'abonner Faire un don Participer