En 1977, plusieurs jeunes architectes militants avaient mis en place à Cergy-Pontoise des ateliers communautaires avec Pierre Lefèvre, alors enseignant en architecture à l’université de Vincennes (1). Ce groupe proposait aux habitants d’intervenir sur les choix urbanistiques, l’organisation des espaces publics, la possibilité de mettre en place des structures collectives (maison des associations, ateliers partagés…) et aussi la possibilité de penser intégralement la réalisation d’un lotissement avec plus ou moins de collectif. C’est ainsi que deux projets ont vu le jour : les Yapluka et les Vignes blanches.
Yapluka
En 1979, plusieurs personnes, dont Pierre Lefèvre, sont prêtes à acheter en commun une parcelle à construire. En se regroupant et en assurant une partie des travaux, il devenait possible d’obtenir un logement pas trop cher, avec en plus le choix des matériaux, des formes…
La parcelle proposée (5000 m2) nécessite de trouver une vingtaine de familles. Beaucoup de personnes viennent aux préparatifs mais, au premier seuil financier, le groupe se réduit à seulement neuf familles. Il est alors négocié de n’acquérir que la moitié de la parcelle. Chaque famille choisit un des architectes des Ateliers communautaires pour l’accompagner (2). Ils rendent visite à d’autres projets qui ont déjà vu le jour (3).
Alors que le groupe étudie comment placer les maisons avec le paysagiste Bernard Lassus, comment grouper les achats de matériaux, tout en cherchant un cadre juridique, il apprend qu’en décembre 1980, le taux de TVA va augmenter sur le terrain à bâtir. Cela précipite les choix. L’ensemble est acheté en indivision par une association, puis une assemblée générale permet de transformer l’association en copropriété et de subdiviser le terrain en neuf lots, réservant des parties communes : un parking à l’entrée pour que les voitures ne pénètrent pas dans le lotissement, un emplacement pour une maison commune où ranger du matériel de jardinage, tenir des réunions et abriter des chambres d’amis (4), une fontaine, un potager commun et un petit verger, ainsi que des voies de circulation. Il y a une vingtaine d’enfants au départ, et des zones communes de jeu sont prévues. Chacun reste chez soi sur sa parcelle. Des maisons acceptent d’être mitoyennes, d’autres partagent une buanderie. Dans quatre maisons, il est prévu d’installer un chauffage solaire, ce qui nécessite une orientation particulière (5). Le cahier des charges imposé par la commune (charte de couleur, hauteur du bâti…) n’esr que partiellement respecté. Deux personnes travaillent à la direction départementale de l’équipement, ce qui aide à résoudre certains problèmes techniques.
S’il n’y a jamais de problèmes d’ordre politique, par contre, il y en a sur le rapport à la nature. Certains veulent une nature bien ordonnée, avec des tailles régulières, d’autres préfèrent une nature plus laissée à elle-même.
Les premiers habitants aménagent dès l’été 1981 dans des maisons hors d’eau (6). Il faut ensuite 5 à 10 ans pour rendre les maisons confortables. « Créer sa maison est passionnant, mais l’autoconstruire en partie est difficile, nous dit Philippe Debuigne. C’était une sorte de défi de voir ce que l’on pouvait faire soi-même. » Il faut choisir un niveau acceptable de travaux : pour en avoir prévu trop, certains couples ont explosé ; d’autres n’ont jamais fini leur maison.
Le hangar commun a été source de problèmes : zone de jeu pour les enfants, il est devenu un point de trafic pour la délinquance locale et il a fallu le fermer.
Les parties communes entraînent des difficultés lors des reventes de maison : d’une part, pour évaluer le prix de vente, d’autre part parce que les nouveaux habitants ignorent parfois les limites de ces parties communes. Seules trois des familles d’origine sont encore présentes. Certaines maisons ont déjà été revendues plusieurs fois et de nouveaux arrivants ont monté des clôtures, ce qui efface peu à peu la connaissance de l’histoire du lieu.
Les Vignes blanches
A 500 mètres de là, les Vignes blanches se présentent sous la forme d’un immeuble aux formes tarabiscotées. Comme pour Yapluka, l’histoire commence avec la constitution d’un groupe d’une quinzaine d’adultes. Un cahier des charges, élaboré en 1979, prévoit la possibilité d’accession aux familles bénéficiant de prêts sociaux. Le choix se porte sur un seul bâtiment avec d’importantes surfaces communes (266 m2 sur 1440 m2) : un couloir d’entrée, une salle (réunions, fêtes et jeux pour les enfants), un atelier de bricolage (7), un studio d’accueil (8), une buanderie, un local de jardinage et un studio de photo (9). Le jardin collectif est tout aussi important (2200 m2).
Le chantier, lancé en 1983, est bloqué par la faillite d’entrepreneurs qui n’avaient pas tenu compte de la complexité du bâtiment. Ce n’est qu’en 1986 que neuf familles s’installent (10). Depuis, une seule est partie, remplacée par des locataires qui ont ensuite acheté.
L’ensemble fonctionne en société civile immobilière, et il n’y a pas eu de gros conflit : selon Annie Taillez, cela tient à ce que « le groupe a toujours cherché les solutions les plus justes possibles, en évitant les décisions abruptes ». Il y a eu des fêtes chaque année, même si aujourd’hui, les enfants sont partis. Les plus grosses difficultés se sont cultivées au jardin, car « chacun a son idée sur la manière de faire pousser les plantes » !
Il y a sept appartements en rez-de-jardin, plus deux autres avec terrasse. Comme le terrain est en pente, tout le monde entre au niveau supérieur des rez-de-jardin. Chaque appartement est en duplex. Les escaliers commencent à être un problème, la personne la plus âgée ayant aujourd’hui 78 ans.
La stabilité du groupe semble avoir favorisé le maintien du collectif.
Michel Bernard
• Yapluka, 7, rue du Pré-aux-Renards, 95280 Jouy-le-Moutier
• Les Vignes blanches, 63, rue des Vignes-Blanches, 95280 Jouy-le-Moutier
(1) Voir son livre L’Habitat participatif et l’entretien dans Silence no 432, mars 2015.
(2) Jean Nouvel pour Philippe et Françoise Debuigne. Pierre Lefebre pour sa propre maison, François Digart, Rémy Calot, Pierre Mazodier, Eric Mathieu pour les autres…
(3) Les Jardies, 4, sentier des Jardies, 92120 Meudon, depuis 1975, 9 logements.
(4) Cette maison commune n’a pas vu le jour, l’emplacement a servi à faire un hangar pour le matériel et deux garages pour les maisons les plus éloignées.
(5) Une seule conservera un capteur pour l’eau chaude.
(6) Une maison est « hors d’eau » lorsque que le gros-œuvre est terminé (murs et toit en place).
(7) Celui-ci a été très utilisé au début, puis de moins en moins. Il a repris de l’activité quand les habitants sont arrivés à la retraite.
(8) Du fait du départ des enfants, il y a maintenant des chambres libres dans les appartements, ce qu’il fait qu’il sert moins qu’avant.
(9) Celui-ci n’a jamais bien fonctionné.
(10) Une famille a été remplacée pendant le chantier, suite à un divorce.