Avançant que les filières bio ne sont pas en capacité de fournir 20 % des repas dans les cantines collectives, début mars 2016, les Sénateurs ont retiré cet objectif d’un projet de loi sur l’ancrage territorial. Selon eux, pour atteindre ces 20 %, la bio serait forcément d’importation.
La production de bio est suffisante pour la restauration collective
La Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique (FNAB) a répondu à cette objection : il y a trois milliards de repas par an servis dans la restauration collective. Pour assurer 20 % de ces repas, cela nécessiterait environ 400 000 hectares… Or fin 2015, l’agriculture bio représente 1,3 million d’hectares… dont 220 000 hectares nouveaux pour cette seule année. Au rythme actuel de conversion, cela ne représente donc qu’un délai de deux ans pour arriver à fournir ce débouché supplémentaire (en fait moins puisque les cantines utilisent déjà des produits biologiques à hauteur de 2,7 %).
Cela fait maintenant des années que les filières bio se sont organisées pour répondre à la demande de la restauration collective : une vingtaine de plate-forme de producteurs existent déjà et couvrent 70 % des départements. Une telle loi aurait pour conséquence d’inciter encore davantage d’agriculteurs à franchir le pas de la conversion à l’agriculture biologique, ceux-ci ayant un débouché assuré.
Les expériences de cantines 100 % bio, comme celle de Langouët, en Ille-et-Vilaine qui fonctionne depuis dix ans, montrent que c’est non seulement possible, mais que cela ne coûte pas plus cher. Il existe déjà une centaine de cantines qui dépassent le 20 % bio en France (1) et cette démarche est en train de s’étendre.
Du bio dans les épinards
Prenons l’exemple de Pascal Veaulin, chef cuisinier dans un collège du Loiret, qui a réussi à introduire plus de 50 % de produits bio dans les repas. En 2003, ce jeune chef décide de relever le défi lancé par Bio Centre dans le cadre de l’opération Printemps Bio (2), de servir un repas bio complet aux élèves de son collège. « C’était difficile, car cela explosait mon budget, et au printemps il n’y avait pas la production locale en face… ».
Suite à cela, Pascal continue laborieusement à introduire du bio dans ses repas. En 2008, la FNAB et l’Institut de formation de l’environnement créent un réseau de formateurs cuisiniers et diététiciens dont la mission sera d’accompagner la restauration collective d’Etat dans la démarche. Cela l’aide à introduire plus de bio, mais dans son collège les résultats sont mitigés, les moyens ne sont pas encore adéquats pour fabriquer le plus possible maison.
Quelle est la recette d’une cantine bio ?
En 2013, il change de collège et cela débloque les choses : il y a plus de place pour faire des légumes, du matériel de cuisson mieux adapté et plus de personnel. Parmi les pratiques qu’il met en place pour diminuer les coûts et compenser celui de l’achat de la nourriture bio : proposer plusieurs plats au choix aux élèves, avec ou sans viande, ou remplacer la viande par des légumineuses (haricots, lentilles etc.). Il supprime aussi les fonds de sauces et autres préparations industrielles onéreuses, celles-ci contiennent beaucoup d’additifs dangereux pour la santé et servent de cache misère quand les ingrédients n’ont pas de goût. Le plus important c’est la réappropriation du métier de cuisinier et de proposer au maximum des plats « fait maison » ; limiter le gaspillage, par exemple en réutilisant le vieux pain pour faire de la chapelure. Et le résultat est là : des repas avec un coût de matière première inférieur à 2,10 € par personne, pour une moyenne de 50 % à 70 % de produits bio utilisés (légumes frais, céréales, légumineuses, produits laitiers, œufs frais en coquille…).
« Ils en redemandent ! »
Tout n’est pas facile pour autant. Pascal fait face à des difficultés d’approvisionnement car la plateforme Bio Centre, principale fournisseuse de produit Bio locaux, a fait faillite. Il reconstruit donc une filière pour son collège et se tourne pour cela vers le Gabor (3) avec qui il construit un calendrier de semis de légumes pour toute l’année, ce qui l’aide à s’organiser pour les commandes de produits de saison et locaux.
Les parents et les enseignants sont contents de cette évolution. Quant aux élèves, « ils adorent : les courges en hiver, la purée de potimarron, les pâtes (artisanales), les lentilles, ils en redemandent ». Pascal réalise des expositions de légumes de saisons et des repas à thèmes tout au long de l’année.
Un réseau de restauration collective bio
Au tournant de l’année 2013, la FNAB ne peut plus financer l’animation d’un réseau de formateurs spécialisés sur l’introduction de la bio dans la restauration collective. Faute de demandes publiques de formations bio, plusieurs cuisiniers et diététiciens issus du réseau veulent continuer à se former et en former d’autres. Pour cela, ils rédigent la « charte de Lorris » qui servira de cadre à la création d’une association : « le Collectif les Pieds dans le Plat », en 2014. Parmi eux Pascal Veaulin et Jean-Marc Mouillac. Ou encore Aurélie Bénazet, diététicienne. Elle fait cuisiner les lycéens en classe avec une cantine mobile et participe à introduire la bio dans la restauration de la ville de Château-Thierry (Aisne).
L’Agence bio qui fourmille de statistiques sur la bio indique que 87 % des Français sont intéressés par du bio dans la restauration à l’école, 76 % à l’hôpital, 73 % au travail et dans les maisons de retraite. 74 % des cantines scolaires ont déjà servi des produits bio.
Ces reculades de nos élus — généreusement influencés par les lobbys de l’agro-alimentaire — font qu’une des mesures positives du Grenelle de l’environnement de 2007 ne sera pas tenue : nous devions atteindre ces 20 % en 2012 !
Guillaume Gamblin
(1) Voir www.restaurationbio.org
(2) www.printempsbio.com