Dossier Alternatives Initiatives autres

Bergerie de Villarceaux

Michel Bernard

La Bergerie de Villarceaux est un écoterritoire sur lequel se développent plusieurs initiatives : un espace agroécologique avec une ferme biologique et des espaces naturels, un centre d’accueil et de séminaire, des gîtes touristiques…

Au début des années 1970, les gestionnaires de la fondation Charles Léopold Mayer (voir encart) cherchaient à faire des placements financiers pour faire fructifier son capital initial. Le domaine de Villarceaux a été acheté en 1976. Le domaine a la particularité d’être d’un seul tenant. Il comprend trois châteaux : l’un était déjà loué à un club de golf depuis les années 1960, les deux autres sont loués à la région Ile-de-France, qui les ouvre au public et y organise différentes manifestations, le contrat de location précisant que l’ensemble doit respecter les conditions de l’agriculture biologique. Une forêt de 250 ha est exploitée de façon durable. Les terres agricoles (400 ha), après leur conversion en polyculture et élevage bio (brebis, vaches, légumes de plein champ, céréales), ont été confiées à un agriculteur. Celui-ci s’installe dans des bâtiments neufs, l’ancien corps de ferme n’étant pas adapté à l’agriculture mécanisée d’aujourd’hui. Ce dernier est reconverti pour héberger un centre d’accueil écologique, une coopérative de consommateurs (voir encart) et une association qui œuvre pour le développement territorial durable.

A la recherche du développement durable

La mise en place de l’ensemble est laborieux. La fondation a testé plusieurs modes de gestion et a été confrontée aux intérêts parfois divergents des acteurs. Les travaux d’aménagement de reconversion des anciens bâtiments ne commencent qu’en 2007. Ils durent quatre ans et l’écosite ouvre en 2011. Les travaux ont nécessité de nombreuses négociations : le premier permis de construire a été refusé à cause du système d’épuration des eaux grises par phytoépuration, que le département jugeait dans un premier temps incompatible avec un lieu recevant du public (1). Les bâtiments étant dans un site classé, il n’a pas été possible d’installer des capteurs solaires sur les toits les mieux exposés…
Malgré cela, la fondation a décidé d’aller le plus loin possible, et de nombreuses innovations ont été testées sur place dans le domaine des pratiques « durables » : le chauffage (géré par ordinateur) est beaucoup plus économe que ce que l’on trouve ordinairement dans le collectif. Alors qu’habituellement, une chaufferie à bois comprend une chaudière de secours au fioul, il a été choisi de mettre une deuxième chaudière à bois. Le bois déchiqueté (170 tonnes par an) était au départ acheté, il est maintenant produit sur place par l’entretien des haies et l’éclaircissement de la forêt. La phytoépuration est dimensionnée pour un accueil de 80 personnes. La gestion de l’eau repose sur une utilisation maximale des eaux de pluie pour les sanitaires (60 m3 de stockage). Ne pouvant faire d’isolation par l’extérieur à cause de la protection du patrimoine, on a doublé les cloisons en interne avec des briques de chanvre. Le bois utilisé — du mélèze — est non traité… Les capacités financières de la fondation ont permis de faire des choix optimums pour les économies d’énergie, avec parfois un temps de retour est très long (2).

La coopérative Coop’Saveurs

La coopérative Coop’Saveur a vu le jour sur place en 2001 afin de favoriser la distribution en circuit court des produits de la ferme (viande, lentilles, farines) alors gérée par la fondation. En 2005, la fondation confie la ferme, sous forme d’EARL, à Olivier Ranke, qui devient ainsi le principal fournisseur de la Coop pour la viande (bovine et ovine) et pour une partie des céréales.
Cette coopérative, qui ne fonctionne qu’avec des bénévoles, propose des produits frais et secs seulement un samedi par mois. Elle fonctionne comme un groupement d’achat : les quelques 300 familles adhérentes commandent à l’avance sur le site internet les produits périssables, et complètent sur place avec les produits secs. Chaque mois, quelques producteurs, artisans, libraires… sont invités ponctuellement.
Les adhérents sont invités à participer à la recherche des produits biologiques. La priorité est donnée aux producteurs locaux (poulets et porc de l’Oise, produits de la Normandie toute proche…), mais pas seulement : de l’huile d’olive arrive d’Espagne, des noix, du Périgord. Particularité : tous les producteurs ont eu la visite des coopérateurs, même les plus lointains. Des débats sont organisés pour le choix des produits, intégrant différents niveaux de réflexion : conséquences locales et internationales des achats, favorisation des cycles naturels, respect du rythme des saisons, valorisation des emballages les moins polluants, garantie des relations commerciales qui respectent l’autonomue et la dignité de chaque partenaire…
Si la majorité des familles vivent dans un rayon de 30 km (la ville de Cergy-Pontoise n’est pas très loin), quelques-unes viennent de Paris, la plus éloignée venant de Fontainebleau, au sud-est de Paris.
Deux personnes sont chargées de gérer les commandes. Elles opèrent dans la semaine qui précède le jour d’ouverture. Quelques coopérateurs assurent des livraisons. Certains produits secs sont achetés en gros sur des plates-formes de distribution bio (Relais Vert, Markal…), ce qui permet d’obtenir des prix de gros, donc d’offrir de la nourriture bio à un prix bon marché.
Le local n’est ouvert qu’une fois par mois : c’est la limite pour pouvoir rester uniquement bénévole. Cela peut suffire pour les produits secs, mais évidemment pas pour les produits frais. Beaucoup de familles sont motivées par la qualité des produits, en particulier de la viande.
• Coopérative Saveurs du Vexin, La Bergerie, 95710 Chaussy, www.coopsaveursvexin.org

Accueil et hébergement

Le centre d’accueil est géré par une association créée en 2006 dont les membres du bureau sont cooptés par la fondation. Son but est de promouvoir le développement durable. Il dispose d’un restaurant 100 % bio, avec, autant que possible, des produits locaux. L’une des activités est l’accueil de classes d’enfants — principalement des enfants de la couronne parisienne —, en partenariat avec l’Education nationale. Les groupes d’enfants logent sur place dans des gîtes qui peuvent accueillir jusqu’à 60 personnes. L’activité est très liée au calendrier scolaire. Les enseignants ont le choix entre différents modules : astronomie, énergies renouvelables, alimentation, biodiversité, eau… ou des activités plus artistiques, en lien avec l’association La source (3).
Ceci est complété par une activité d’accueil touristique, au sein du Parc naturel régional du Vexin français, et grâce à la proximité de la véloroute Paris-Londres. La fondation utilise les lieux pour des séminaires en lien avec les différentes actions qu’elle développe.

La fondation Charles Léopold Mayer pour le progrès de l’homme

Charles Leopold Mayer, scientifique et financier franco-irlandais, lègue à sa mort, en 1971, une fortune importante pour constituer une fondation qui portera son nom. Elle a pour but d’« aider au progrès par les sciences et le développement local ». En 1987, elle lance un appel « pour des Etats généraux de la planète » afin de définir un humanisme pour le siècle à venir. Elle finance à partir de 1994 l’Alliance pour un monde responsable, pluriel et solidaire qui, dans les années suivantes, participe à l’émergence de ce que l’on appelle l’altermondialisme. En 1995 naissent les éditions Charles Léopold Mayer.
Aujourd’hui, la fondation dispose d’un budget annuel de 9,5 millions d’euros pour soutenir les acteurs de la transition sociale et écologique. Elle est dirigée par un conseil de dix personnes et emploie treize personnes. Plus de 400 livres ont été édités.
• Fondation pour le progrès de l’homme, 38, rue Saint-Sabin, 75011 Paris, tél : 01 43 14 75 75, www.fph.ch

Un lieu d’expérimentation sociale ?

La fondation souhaiterait que la Bergerie — une réussite dans le domaine de la maîtrise de l’énergie, de l’éducation à la nature et de l’agriculture biologique — soit aussi un lieu d’expérimentation sociale. Mais Paul Dehay, président de l’association qui gère le centre d’accueil, reconnaît que ce n’est pas facile : chaque secteur (coopérative, agriculteur, centre d’accueil) est pris par ses activités, et les réunions de coordination restent trop rares.
La fondation veut également développer l’activité économique du territoire en plaçant l’humain et la protection de l’environnement au centre des préoccupations. Mais les préoccupations socio-économiques à court terme imposent souvent leurs contraintes.
La fondation aimerait expérimenter des « sorties du capitalisme », en étudiant comment échanger entre structures sans argent. Olivier Ranke, l’agriculteur, n’est pas très disponible et les bénévoles impliqués à différents niveaux ne peuvent ou ne souhaitent souvent pas en faire plus. Pour avancer sur les questions sociales, il faut commencer par dégager du temps commun, un temps qui semble manquer actuellement.

Michel Bernard

• Bergerie de Villarceaux, 95710 Chaussy, tél : 01 34 67 08 80

(1) Quand le projet démarre, il n’y a pas de normes pour les techniques écologiques en usage collectif.
(2) Le temps de retour est le temps qu’il faut pour que les économies réalisées compensent les frais d’investissement initiaux.
(3) Domiciliée au château géré par la région, cette association créée par le peinte Gérard Garouste fait des résidences d’artistes. Ceux-ci sont invités à participer aux animations scolaires au niveau du château, mais également en lien avec la Bergerie.

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