En ce 15 septembre 1979, elles sont mille femmes à se réunir dans un ensemble scolaire de la banlieue de Cologne, en RFA. Elles viennent de toute l’Allemagne de l’Ouest pour parler du service militaire et du nucléaire. Les années 70 ont vu émerger de nombreux projets de centrales nucléaires des deux côtés du Rhin, et les manifestations et occupations ont été massives du côté allemand, comme à Wyhl où, en 1975, les populations locales ont occupé pendant neuf mois le futur site de l’usine ou encore à Brokdorf et Kalkar où les manifestations ont mobilisé entre 50 000 et 60 000 personnes en 1977. Dès 1975, la présence des femmes est manifeste dans la mobilisation. Des groupes non-mixtes s’organisent pour porter des revendications qui dépassent les analyses économiques proposées par les fermiers et marchands de vin de la région de Wyhl. Un groupe rédige un appel public, « Les femmes sonnent l’alarme », où il est question des dangers de la radioactivité, de la destruction de l’environnement et de l’avenir des générations futures. Les habitantes plutôt traditionnelles de cette région rencontrent lors de l’occupation les féministes des villes et apprennent à mener ensemble cette lutte.
500 femmes tombent et meurent silencieusement
En mars 1979, l’accident de Three Mile Island aux États-Unis a un grand retentissement en Allemagne où 100 000 personnes se rassemblent à Gorleben pour protester contre la construction d’un centre de stockage de déchets radioactifs. C’est dans ce contexte que le congrès des femmes de Cologne est organisé afin d’articuler féminisme, pacifisme et mouvement antinucléaire. Des groupes de travail s’organisent sur des thèmes comme « fascisme et militarisation », « la politique antinucléaire des syndicats », « la technologie dans la vie quotidienne des femmes », thématiques plutôt absentes des milieux féministes français à la même époque. Un groupe cependant manque à l’appel, les femmes de Gorleben qui n’avaient pu quitter leur région : des forages avaient commencé sur le futur lieu de stockage, des militant.e.s montaient dans les arbres pour les protéger de l’abattage et les tensions étaient fortes avec les forces de l’ordre présentes en nombre. À Cologne, le congrès des femmes décide donc de mettre en pratique l’action directe non-violente discutée dans certains ateliers. Le 16 septembre, elles sont 500 à se retrouver devant la cathédrale au moment de la sortie de la messe. Une femme crie au mégaphone : « Attention, attention, un accident nucléaire vient d’avoir lieu dans l’entourage immédiat de notre ville ! ». Barbara Rosenberg, présente sur place, raconte la scène dans la revue féministe française Histoires d’elles : « Les cloches sonnent, au son strident de la sirène, soutenu par un gros tambour lugubre, cinq cents femmes tombent lentement sur les dalles du parvis et meurent silencieusement sur place sous les yeux ahuris des braves citoyens. Les « survivantes » distribuent les tracts et expliquent l’action aux passants. » S’ensuit une joyeuse farandole dans les rues de la ville, ponctuée de deux autres die-in silencieux.
Depuis, il y a eu Tchernobyl et Fukushima. En France et en Belgique l’État distribue des pastilles d’iode...
Isabelle Cambourakis