La guerre ne résout pas les réels conflits sous-jacents. Au contraire, son issue accentue souvent les conflits en donnant le pouvoir à des chefs de guerre, en n’instaurant pas la démocratie, en effectuant des partitions territoriales sur des critères ethniques en décalage avec les sources réelles des conflits.
Des conflits nécessaires
Que se soit pour des questions de partage de richesses et de territoires, de matières premières, d’influence politique, de besoins en eau ou en nourriture, de rejet de minorités ethniques (souvent pour servir de bouc émissaire face à une incapacité à solutionner des problèmes)…, les raisons des déclenchements de conflits ne manquent pas.
Le problème n’est pas le conflit mais sa résolution, la manière dont les individus, les groupes sociaux, l’Etat, transforment pour faire évoluer la société vers plus d’harmonie, de justice sociale et environnementale.
Dans les approches non-violentes, on dit souvent que « la violence est un dérèglement du conflit ». Finalement, c’est la violence qui devient le problème alors que le conflit initiateur n’est pas mis sur la table, donc pas résolu. Face à la guerre, il ne suffit pas de vouloir faire taire les armes : il faut mettre en place des solutions pour vivre ensemble.
Nous devons pousser la logique de la politique pour éviter la guerre. C’est la base stratégique de la démarche non-violente (1).
Quand la guerre est déclarée
Mettre en avant la protection des populations civiles, c’est exclure les bombardements, l’envoi de matériel militaire pour renforcer un camp — car cela ne fait que renforcer le malheur des civils. Les conventions internationales intègrent déjà l’interdiction de la fourniture d’armes à des belligérants (2).
En soutien à la population civile, il est important d’imposer une aide humanitaire (alimentations, soins) aux victimes souvent assiégés. La pression diplomatique sur les belligérants doit être importante.
Il faut organiser l’accueil des réfugiés : fourniture de matériel, organisation des camps. La manière dont l’Europe, et la France en particulier, accueillent les réfugiés syriens en est le contre-exemple (3).
Afin d’assécher les moyens militaires et financiers des belligérants, nous pouvons faire pression sur les gouvernements pour davantage de diplomatie auprès des Etats soutenant des parties en guerre, le contrôle sur les transferts d’armes et sur les échanges monétaires... (4). Les moyens d’action non-violente, comme le boycott, trouvent ici toute leur force.
Renforcer les sociétés civiles, c’est préparer la paix
Prévoir la paix, c’est donner plus de moyens d’expression, de représentation, d’influence aux acteurs civils : syndicats, associations citoyennes, écologistes, sociales… Ainsi, lors des négociations internationales, ce n’est pas seulement aux chefs de guerre de s’exprimer pour trouver des solutions politiques au conflit, mais surtout aux acteurs de la société civile.
La non-violence politique est souvent sceptique sur l’efficacité des « boucliers humains » dans les zones de combat — présence physique de nombreux militants internationaux pour la paix. C’est une option qui peut parfois être utilisable dans des pays très sensibles à leur image internationale.
Par contre, la mise en place d’intervention civile pour la paix, avec des « peacekeepers » — littéralement « gardiens de la paix » — est une solution qui a déjà prouvé son intérêt pour la protection des populations civiles et pour le renforcement des organisations non militaires (5).
Après la guerre
Dans la construction de la paix, il est nécessaire de regarder le passé et les exactions qui ont eu lieu pendant le conflit. Une amnistie n’est généralement pas souhaitable car revient à ne pas dire la vérité sur les faits et les exactions contre la population. Il ne peut pas y avoir de réconciliation sans justice.
La période post conflit est très sensible à des dérapages. La reprise de combat, le ressenti de vengeance, peuvent faire basculer rapidement un cessez-le-feu. Il est nécessaire qu’un climat de confiance et de justice soit établi. Souvent, l’implication de l’Etat étant sujette à tension, il est nécessaire que des forces tierces soient présentes sur le terrain, en médiation, donc acceptées par les deux parties.
Actuellement, ce sont les Casques bleus ou des militaires d’une nation extérieure qui interviennent. Il serait important de mettre sur pied des forces de police, et non des forces militaires, quand il s’agit de rétablir une situation normale. Les policiers sont formés pour faire respecter un cadre judiciaire, contrairement aux militaires. Cette différence est grande et joue sur le ressenti des populations (forces d’occupation avec engins blindés et fusils d’assaut, ou simple policier en uniforme…).
La meilleure défense, c’est la prévention !
Face à la guerre, la non-violence développe sa cohérence entre différents moyens autour de l’éducation à la non-violence, les actions de renforcement de la cohésion sociale, les actions de solidarité internationale et les actions de pression non-violente, comme la désobéissance civile. Les expériences nombreuses qui existent maintenant à travers le monde laissent entrevoir les pistes de solutions à mettre en pratique.
Semblant être moins opérante parce que moins puissante et immédiate qu’une intervention militaire, l’action non-violente a des résultats à moyen et long terme infiniment plus efficaces que la violence pour établir un monde de justice et de paix.
Il est vrai que, lorsque le conflit a dégénéré en guerre et que la violence parle, la non-violence (et même l’action militaire) a plus de difficulté à agir et à porter ses fruits. D’où la nécessité de traiter les conflits pour éviter leur transformation.
Si, pour les militaires, la meilleure défense, c’est l’attaque, pour les non-violents, la meilleure défense est la prévention.
Serge Perrin
MAN-Lyon
(1) La politique comprend tout ce qui a trait à la structure et au fonctionnement, à l’organisation et à la gouvernance des groupes sociaux, étatique ou pas.
(2) Avec la dissimulation des armées au sein des populations, nous avons de plus en plus d’ « effets collatéraux » sur les populations civiles. Le résultat aboutit souvent à la haine des bombardés envers les « bombardeurs ».
(3) Il est moins coûteux en monnaie et en conséquences humanitaires de réaliser des camps corrects à proximité des zones en conflit (favorisant ainsi un retour rapide des réfugiés, dès la cessation des combats) que de laisser faire des mafias de passeurs, construire des kilomètres de barrières, laisser femmes et enfants dans des conditions inhumaines.
(4) Il ne faut pas oublier qu’une guerre coûte très cher : armes, munitions, combattants, moyens de déplacements et de transmission. Cela demande une organisation et des soutiens importants, donc plus facilement repérables et neutralisables.
(5) Cette approche est développée dans le premier article de ce dossier, p. 5.