Article Fukushima Nucléaire

Qui ne préfèrerait pas entendre que tout s’arrange ?

Monique Douillet

Entretien avec Yayoï Hitomi, une militante antinucléaire de Koriyama, sa ville, à 60 km de la centrale de Fukushima, à l’occasion de sa venue, pour le cinquième anniversaire de la catastrophe, à l’invitation de plusieurs associations en Suisse, en Angleterre et en France.

Etiez-vous déjà militante antinucléaire avant l’accident ?
Oui, notre collectif dénonçait l’implantation de la centrale sur un piton instable avec de l’eau en dessous, ainsi que l’utilisation de Mox (mélange d’oxydes) dans des réacteurs non prévus pour recevoir ce combustible hautement toxique. Autant dire que nous nous attendions à un accident.

Avez-vous réagi plus vite et plus efficacement que les autres habitants à l’annonce de la catastrophe ?
Non. Les réactions ont été diverses. Des militants ont fui sur l’heure, des femmes surtout, avec leurs enfants. Les hommes étaient abattus, tiraillés entre responsabilité familiale et professionnelle. Moi j’étais figée sur place, ce qui se passait me semblait irréel. Après le premier choc, j’ai décidé de rester, j’allais atteindre les 50 ans, je n’étais pas dans la tranche de population la plus sensible. Il fallait s’occuper en priorité des enfants et veiller au respect des précautions élémentaires. Nous avons commandé des dosimètres. Figurez-vous que quand le tremblement de terre a ébranlé ma maison, les premiers livres qui se sont répandus sur le sol ont été ceux qui traitaient du nucléaire et de l’état des centrales ! C’était comme un signe, si bien qu’après avoir appris l’explosion des 4 réacteurs, j’ai pensé : je n’en aurai plus besoin, je vais les jeter. J’étais certaine que cette semonce signait l’arrêt du nucléaire.

Avez-vous perçu des conséquences physiques suite à l’irradiation que vous avez reçue ?
Oui. Le quotidien est devenu plus difficile. La fatigue s’est installée dans nos corps. Chacun de nous a été atteint sur son point faible : la peau couverte de taches noires pour les uns, les voies respiratoires avec saignements de nez ou problèmes de thyroïde pour les autres, etc. Les examens médicaux ont révélé nos forts taux de radiations internes.

J’ai lu que vous organisez des vacances sanitaires avec l’association « Sauvons les enfants de Fukushima ».
Nous sommes très loin d’atteindre notre objectif dans ce domaine ! Tout d’abord, nos moyens sont limités, car le gouvernement n’accorde pas de subvention puisque, selon lui, il n’y a pas de contamination. Ensuite, l’information ne passe pas dans les médias japonais (pour la même raison). Et il est difficile de dénoncer un ennemi invisible. Enfin, l’idée de vacances spécifiques pour les enfants, comme cela existe en France avec les colonies de vacances, est inimaginable ici. Les enfants ne quittent jamais leur mère, laquelle, dans la majorité des cas, suspend son activité professionnelle pour les élever. Résultat, le séjour sanitaire se réduit à 2 ou 3 jours hors de la région, un temps trop court pour une décontamination.


Peut-on dire qu’une grande partie de la population ne croit pas au danger ?

Tous les moyens sont déployés pour persuader les gens que nous sommes sortis du cauchemar. Qui ne préfère pas entendre que tout s’arrange et se réfugier dans le rêve de lendemains qui chantent ? Des médecins sont appelés par le gouvernement pour appuyer des campagnes destinées à rassurer tout le monde. Les Jeux olympiques approchent... Des brochures de BD distribuées gratuitement soutiennent que l’irradiation à faible dose ne présente aucun danger ; elles vous instruisent même sur les bons côtés de la radioactivité : efficace pour soigner les cancers (radiothérapie) et pour conserver les aliments en améliorant leur qualité hygiénique, etc. Mieux ! les autorités n’ont pas hésité à faire appel aux enfants pour le nettoyage de la route nationale n° 6 qui longe la centrale. Avec ce dispositif de choc, le gouvernement provoque l’hésitation... Mais finalement, non ! Aujourd’hui, 70 % des Japonais demandent l’arrêt du nucléaire. Avant l’accident il y en avait moins de 40 %.

Que se passe-t-il pour les habitants qui refusent de rentrer dans les villages soi-disant décontaminés ?

Ceux qui en ont les moyens vont construire leur maison ailleurs. Ceux qui n’ont pas été évacués sur ordre, surtout s’ils sont propriétaires, vont probablement rentrer sous la contrainte économique, surtout s’ils continuent de payer le crédit sur leurs biens abandonnés.

Les États-Unis avaient demandé aux ressortissants américains d’évacuer au moins jusqu’à 80 km. Le gouvernement japonais quant à lui ne l’a jamais été fait. Cette revendication est-elle encore d’actualité ?
Pas sous cette forme, mais des procès sont en cours pour demander une évacuation ici ou là, hors des zones actuelles.

Les habitants de Tokyo ont-ils conscience qu’ils vivent maintenant en permanence dans un environnement radioactif ?
La plupart des Tokyoïtes l’ignorent, c’est à dire : ne cherchent pas à le savoir, pourtant des taches de léopard* en attestent dans différents quartiers de la ville.

Comment s’organise la contestation contre le seuil de contamination acceptable qui a été remonté de 1 à 20 mSv ? Y a-t-il une censure ? Ou le mouvement est-il trop faible ?
Nous n’avons pas de preuve tangible d’une censure des médias japonais sur ce sujet, mais le silence et l’ignorance générale à ce propos posent en effet problème... L’idée de mener une enquête approfondie auprès des groupes militants jaillit : « Nous allons poser la question aux collectifs de militants antinucléaires, gardons le contact, vous pourrez les interviewer par Skype sur ce point, et d’autres qui apparaîtraient dans l’actualité » suggère Hitomi.

Propos recueillis par Monique Douillet
Avec l’aide de la présidente de l’association « Nos voisins lointains 3.11 » Kurumi Sugita.

* taches de léopard : ce sont les dépôts irréguliers de produits radioactifs provoqués par la variation des zones de pluie.

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