Force est de constater que les interventions armées en Irak depuis 2003 n’ont pas fait émerger un régime démocratique ni permis aux habitants de retrouver une vie paisible. La coalition qui a attaqué la Libye de Kadhafi en 2011, après avoir longtemps soutenu son régime, n’a pas mis fin aux souffrances des populations. En Syrie, le chaos a succédé à la dictature, soumettant la population à la loi des milices et des clans, sans organiser la démocratie. Des armes circulent. Le pays semble sur le point d’imploser, la sécurité publique ne cesse de s’y dégrader, offrant à l’« Etat islamique » un terrain de recrutement, voire de redéploiement. D’évidence, le recours à la violence pour régler le conflit n’a rien réglé en termes de droits humains. Et Daech, que nous voulons combattre, s’en trouve renforcé (1).
Que faisons-nous en Syrie ?
L’opposition non-violente a été très peu soutenue lorsque les populations ont commencé à se soulever en 2011, alors qu’elle avait commencé à déstabiliser le régime de Bachar el-Assad malgré la férocité de la répression (2). C’est pendant cette période de lutte non-violente que l’armée du régime a connu le plus de désertions dans ses rangs et subi le plus lourd discrédit international.
Depuis, les puissances extérieures n’ont cessé de fournir des armes aux combattants, voire, directement ou indirectement, au régime syrien et aux groupes islamistes qui ont pris l’ascendant dans certaines régions.
Comme nous l’avons souvent constaté, la violence engendre la violence et accroît l’injustice. Aux yeux de nombreux habitants, l’intervention de l’Occident aggrave la situation, est inefficace contre les dictateurs et favorise une répression sévère contre les populations. Daech a beau jeu de dénoncer cette situation et d’attirer ainsi des jeunes gens révoltés, désespérés ou en quête d’idéal. Sa propagande est redoutablement efficace.
Alors, que faire contre Daech, en Syrie et ailleurs ?
Quelques pistes qui ne font pas place à la violence :
• Arrêter de soutenir , même indirectement, cette organisation criminelle. Il est incohérent et contre-productif (en termes de paix) de prétendre lutter contre Daech et en même temps de soutenir le Qatar, l’Arabie Saoudite et la Turquie d’Erdogan, de leur vendre des armes qui vont tôt ou tard se retrouver entre les mains de groupes armés dont la démocratie n’est sûrement pas l’objectif. A ce titre, on ne peut que se féliciter de la mobilisation de la société civile qui a abouti à l’adoption par le Parlement européen, le 25 février 2016, d’une résolution demandant la mise en place d’un embargo sur les livraisons d’armes à l’Arabie Saoudite (3).
• Sanctionner sur le plan économique . La numérisation de l’économie permet de retracer les flux financiers. Il est possible de geler les avoirs à l’étranger des dignitaires de Daech, de boycotter et sanctionner les banques en lien avec cette organisation terroriste, comme cela s’est fait pour les dépôts et les biens de Kadhafi, Ben Ali et Moubarak et leurs proches.
De même, il est possible de bloquer le pétrole provenant des territoires contrôlés et exploités par Daech. Les routes sont connues. Même si l’efficacité n’est que temporaire car d’autres chemins peuvent être trouvés, c’est autant de gêne pour Daech, c’est aussi limiter sa toute-puissance et montrer qu’on peut l’affaiblir.
• Renforcer les acteurs de la société civile en maintenant les liens avec les forces civiles encore opposées à l’usage de la violence, sur place et parmi les réfugiés qui ont fui leur pays. Car ce sont eux qui pourront, à terme, poser les fondations d’un état démocratique et d’une société juste et solidaire. Cela nous oblige à accueillir chez nous les réfugiés qui souhaitent venir, et à soutenir les forces vives qui restent à proximité de la Syrie dans l’espoir d’y retourner.
• Ici, dans nos pays encore démocratiques, ne perdons pas une occasion d’entamer le dialogue avec ceux qui croient que la seule solution est une action militaire. Les exemples récents nous montrent que ce type d’intervention n’a pas l’efficacité qu’on veut lui prêter en termes d’instauration de la démocratie.
Renforcer les acteurs de la société civile
La non-violence n’a peut-être pas le pouvoir de mettre fin à la guerre immédiatement, mais nous avons la possibilité de renforcer les acteurs de la société civile, seuls à même de construire un Etat démocratique en Syrie, mais aussi en Irak, en Libye, en Egypte et plus généralement dans toutes les zones de conflits. La violence n’amène pas la paix. La non-violence n’a pas le caractère spectaculaire d’une intervention armée. Mais elle a le mérite de ne pas ajouter de la violence à la violence, et de préserver l’avenir bien mieux que les armes. En cela, elle est nettement plus efficace.
Sabine Gautier
(1) Au bouclage de ce numéro, l’organisation indépendante airstrikes.org comptabilise un minimum de 1019 civils non-combattants tués en Syrie et en Irak sous les bombardements occidentaux.
(2) Voir par exemple les B. D. La dame de Damas, de Jean-Pierre Filiu et Cyrille Pomès (Futuropolis, 2015), et Freedom Hospital, de Hamid Sulaiman (Çà et là, 2016), ainsi que les sites www.syriauntold.com ou encore www.everydayrebellion.net/country-countries/syria
(3) Voir, entre autres, le travail de l’Observatoire des armements (www.obsarm.org). La Suède, quant à elle, a mis fin à un important accord de coopération militaire avec ce royaume, et en Grande-Bretagne, l’organisation Campagne contre le commerce des armes s’est engagé à entamer des poursuites contre le gouvernement britannique si celui-ci ne cesse pas ses livraisons d’armes à l’Arabie Saoudite.
En 2014, le Fronte di Liberazione Naziunale Corsu (FLNC) a renoncé aux armes. Mener un combat politique, c’est mettre au jour des situations injustes, déjouer les ruses et les mensonges. C’est combiner une résistance non-violente assumée publiquement et médiatisée avec une argumentation pédagogique et des négociations souvent serrées. Les aspirations d’une majorité du peuple corse sont simples : vivre au pays et vendre leurs productions ; maîtriser les transports ; utiliser les énergies locales, diminuer les déchets ; être reconnu dans sa culture et sa langue. Le peuple corse attend de l’Etat qu’il élucide les attentats mafieux et sanctionne la corruption dont de nombreux Corses sont victimes. Aujourd’hui, les autonomistes siègent à la région de Corse, et de grands chantiers les attendent !
Elisabeth Maheu, MAN-Normandie
Ce dossier a été réalisé en partenariat avec le Mouvement pour une alternative non-violente
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