Ils ont pris racine pour mieux lutter contre le capitalisme et ses avatars, les grands projets inutiles. Des habitats légers parsèment les deux cents hectares de bois. Les murs de Palettes Palace sont en terre et paille, la Saboté ressemble à un gros tipi, l’Acaba est une cabane collective construite avec des matériaux de la zone : les poutres ont été taillées sur place, l’argile vient du sol, le toit de chaume est en genêt. Des résidences éphémères, « comme la place de l’homme dans la nature », résume un sympathisant de la ZAD.
« En réalité, c’est leur argent qui est stérile »
Au milieu des bois, sous la cime des châtaigniers, les occupants ont peu à peu pris conscience de la terre qu’ils foulaient, appris à connaître ce territoire qu’ils défendent. « On a cultivé notre lien sensible à la forêt, nous nous sommes réappropriés les usages », disent-ils. Les grumes ont servi à bâtir des charpentes ; l’hiver, le bois mort alimente le poêle. Après les premières gelées, les petits fruits sont transformés en alcool ; les champignons, eux, finissent dans l’assiette. « Pour les aménageurs, ce territoire est un désert : il ne sert à rien, il n’a aucune valeur financière, affirme une habitante récemment installée. Mais en réalité, c’est leur argent qui est stérile. »
« La forêt est un lieu autonomisant »
Il n’y a pas si longtemps, on coupait du bois pour se chauffer, produire de la pâte à papier et de la menuiserie, les herbes des marécages rempaillaient les chaises… Ce territoire a une histoire que les aménageurs tentent d’effacer sous des coulées d’asphalte et de béton. « La forêt est un lieu autonomisant si on arrive à la déchiffrer, à la comprendre, déclare un occupant. Des études montrent que les paysans, au 19e siècle, tiraient la moitié de leurs moyens de subsistance de la forêt. » Les savoirs sont à reconquérir : vertus des plantes, pratiques de soin, construction en bois d’œuvre… Ils sont perçus ici comme autant d’outils pour se réapproprier son existence.
La forêt a toujours été le lieu des fugitifs, des déserteurs. Derrière les broussailles, dans la pénombre des sous-bois, un autre monde s’invente, les rêves d’une vie qui échapperait à la norme, à l’Etat et à la marchandisation. Les occupants de la ZAD de Roybon puisent dans l’héritage des « peuples de la forêt ». Notamment celui des « sorcières ».
Nourris par cette filiation, ils s’interrogent : « Qu’est-ce qui nous pousse à défendre la forêt ? Une vision cartésienne ou une cosmologie ? Une approche matérialiste, qui calcule les bénéfices de la biodiversité, qui chiffre en hectares les zones de compensation, ou un imaginaire qui voit la forêt comme une entité vivante, comme une source de symboles et de valeurs ? »
Face à un châtaignier de 300 ans, Siegfried, élagueur professionnel, incline humblement la tête. « Qu’est-ce que je peux apporter à un être vivant qui est beaucoup plus vieux que moi, qui a vu naître mes ancêtres et qui vivra encore bien après moi ? »
Gaspard d’Allens