Depuis novembre 2014, la Nef, banque sous statut de coopérative à capital variable, s’est dotée d’une coordinatrice nationale de vie coopérative. Marie Brandt a ainsi rejoint quatre autres salariés travaillant sur le même sujet, répartis dans les quatre délégations régionales de la société, à Nantes, Paris, Lyon et Toulouse.
Miser sur des groupes locaux
A une époque pas si lointaine où la Nef n’était constituée que d’une vingtaine de salariés et d’autant de sociétaires bénévoles actifs, la question ne se posait pas de la même manière. Aujourd’hui, avec 85 salariés et 250 sociétaires bénévoles actifs, il a fallu repenser les choses. « Nous nous sommes beaucoup inspirés de ce que Banca Etica en Italie a mis en place en matière de démocratie, explique Marie Brandt, en particulier de leur organisation qui repose sur des groupes locaux. »
En grossissant, la Nef a donc cherché à développer des échelons très locaux afin de donner aux sociétaires davantage de possibilités d’agir au sein de la banque. Il existe ainsi trente groupes locaux, animés par des sociétaires actifs, qui viennent en appui aux actions de la coopérative (tenir un stand dans un salon ou donner les informations de base sur ce qu’est la Nef aux personnes qui souhaitent la rejoindre), ou qui font remonter des suggestions et des propositions, voire des revendications, auprès du conseil de surveillance. Comme dit Marie Brandt, « la Nef est souvent titillée par ces sociétaires actifs qui sont des gens très militants et très engagés ».
Confluents et assemblées locales
La Nef a cherché à développer le dynamisme de ces sociétaires actifs (« presque des salariés bis », résume Marie Brandt) en embauchant dans chacune de ses délégations un responsable de vie coopérative. Leur but : « recruter » de nouveaux sociétaires actifs, accompagner les groupes locaux, les former, organiser avec eux des animations en région. Pour rendre cette organisation plus effective, des assemblées de coordinateurs locaux sont régulièrement tenues (une à trois fois par an dans chaque délégation), ainsi que des « confluents » qui réunissent, là encore une à trois fois par an, des sociétaires actifs, et des représentants du conseil de surveillance et de la direction au sein d’une région. De plus, chaque délégation consacre un séminaire annuel à la vie coopérative, en complément du séminaire national.
Dans tous ces lieux, les questions du moment peuvent être débattues. Par exemple, cette année, du fait de l’élargissement de son offre bancaire (livrets pour particuliers) la Nef se demande si tous ses clients doivent obligatoirement devenir sociétaires — ce n’est actuellement pas le cas. Le point n’est pas résolu et sera porté au vote des sociétaires à la prochaine assemblée générale : si elle débouche sur une masse de sociétaires passifs et inactifs, la décision est-elle pertinente ? Comment concilier les besoins des usagers de la banque à ceux des sociétaires ? De même, des groupes de travail transversaux peuvent se constituer, comme celui qui travaille sur la politique sociale de la Nef. Répondant à une préoccupation de certains sociétaires actifs, il s’est mis en place à leur initiative et rassemble uniquement des sociétaires préoccupés par cette question.
Processus démocratique
L’assemblée générale annuelle, dont le lieu change chaque année pour essayer de toucher des gens différents à chaque fois, pourrait être un moment de pur formalisme. En mettant en place un processus de préparation qui s’étale sur environ deux mois, la Nef vise à associer aux débats et aux décisions un maximum de sociétaires. En mars et avril se tiennent ainsi des assemblées régionales (il y en a eu quatre en 2015, qui ont réuni 300 personnes), ainsi que des assemblées locales organisées par des sociétaires actifs ; celles-ci sont également ouvertes aux non-sociétaires qui voudraient mieux connaître la Nef, ainsi qu’à ses partenaires locaux. En 2015, il y en a eu 47, qui ont rassemblé plus de 700 personnes. Au total, plus de 1000 personnes ont ainsi participé activement au processus de préparation de l’assemblée générale.
Démocratie représentative et démocratie participative
Pour Jean-Luc Seignez, président du conseil de surveillance de la Nef (et, au quotidien, paysan biodynamique), ces outils participatifs contribuent à fonder la légitimité des décisions de la banque : « Groupes locaux, assemblées de coordinateurs locaux, confluents, commissions et groupes de travail incluant des sociétaires, sont de nature participative. Par une implication plus large, par l’appropriation des questions que cela permet, par la diversité et la richesse des expériences qui se côtoient, ils permettent d’assouplir, d’élargir et d’enrichir le fonctionnement démocratique. N’étant pas prévus par les statuts, quelle est leur place légitime ? Et quelle est leur juste articulation avec les autres dispositions ? Pour bien percevoir cela, il faut comprendre que la démocratie ’instituée’ — c’est-à-dire celle décrite par les statuts avec ses différents organes (assemblée générale, conseil de surveillance, directoire) et ses processus précis (information, convocation, vote) —, permet de fonder la légalité de la décision. En intervenant en amont, dans la phase d’élaboration, la participation permet de renforcer la légitimité de la décision. » Et Jean-Luc Seignez de conclure : « Loin de s’opposer, participation et représentation se complètent, la première étant au service de la seconde. De ce fait, les dispositions participatives ne peuvent être conçues et utilisées que pour renforcer la démocratie que j’ai qualifiée d’ ’instituée’. Sauf à en démontrer les lacunes ou les insuffisances, auquel cas la démocratie participative peut devenir ’instituante’. » Un retour au coopérateur sociétaire, sur lequel, au final, se fonde toute la légitimité du projet coopératif.
Michel Lulek