Dans les années 1950, l’Alabama est un des états du Sud des États-Unis qui pratique la ségrégation raciale. À Montgomery comme dans beaucoup d’autres villes, toutes les places avant des bus sont réservées aux blancs. Le 1er décembre 1955, Rosa Parks, une couturière afro-américaine, refuse de se lever pour laisser la place à un homme blanc. Cette femme, on l’imagine volontiers vieille et fatiguée par une journée de travail. Juste l’élément déclencheur d’un mouvement bien plus large mené par des leaders connus et charismatiques comme Martin Luther King, alors tout jeune pasteur de l’église baptiste de Montgomery. En réalité, le refus de Rosa Parks a peu à voir avec la fatigue physique d’une femme isolée et dépolitisée mais s’inscrit dans une riche histoire d’éducation et d’auto-organisation des communautés noires du sud des États-Unis.
Des associations de femmes qui prônent la désobéissance civile
Celle que l’on nomme la « mère du mouvement des droits civiques » est membre de la NAACP (National Association for the Advancement of Colored People) depuis 1943. Parallèlement, elle suit à la Highlander Folk School de Monteagle (Tennessee) les séminaires de Septima Clark, une de ces infatigables activistes qui place l’éducation au cœur du mouvement. Il s’agit dans ces cours pour adultes de former des membres actifs dans les communautés noires du Sud, de proposer des discussions sur les droits humains, d’éduquer les personnes sur le vote. Le geste de Rosa Parks ne fut ni spontané, ni individuel. Une des associations locales, le Women’s Political Council, fondé en 1946, était composé de femmes afro-américaines qui travaillaient pour la plupart dans le secteur de l’éducation. Cette association menait une politique de lobbying contre la compagnie de bus locale empruntée au quotidien par des femmes noires, domestiques travaillant pour des familles blanches aisées de l’autre coté de la ville. Elles étaient nombreuses à se plaindre auprès de l’association d’invectives et d’actes racistes. Une des responsables du WPC, Jo Ann Robinson, envisageait depuis quelque temps une action de boycott.
L’arrestation de Rosa Parks fut la « bonne » occasion. Avec l’appui de deux autres clubs de femmes, elles rédigèrent un tract qu’elles distribuèrent en utilisant leurs réseaux pour lancer le boycott de la compagnie de bus. Devant le succès de l’opération, la NAACP, hésitante au départ, ne put que se joindre à la lutte.
Le boycott dura 381 jours, les nombreuses femmes qui prenaient les bus pour rejoindre leur lieu de travail durent trouver d’autres solutions. Elles réorganisèrent leur vie quotidienne autour de cette action, pendant plus d’une année. En novembre 1956, l’arrêt Browder v. Gayle interdit la ségrégation raciale dans les bus, menant à la fin du boycott de Montgomery.
Le 1er décembre 1955 est une date plus importante pour le mouvement des droits civiques que pour le mouvement féministe, mais le geste de Rosa Parks est symptomatique du rôle joué par les femmes noires dans cette lutte et de leur inventivité pour proposer des stratégies d’actions ancrées dans les vies quotidiennes.
Isabelle Cambourakis