Silence : Peux-tu te présenter en quelques mots ?
Michel Hutt : Je suis enseignant à Munster (Haut-Rhin), en maternelle. J’ai le souci de vouloir partager certaines valeurs, pour un avenir commun. C’est passionnant de prendre la mesure de tout le potentiel humain, ce qui semble hors de portée d’adultes et d’adolescents est à la portée des tout jeunes enfants : la créativité, l’enthousiasme. Des valeurs qui s’étiolent face à la dure réalité des choses.
J’ai une vie « bourgeoise », je pense que c’est un atout pour interpeller les gens. J’ai également été adjoint au maire de la commune de Munster et suis très présent auprès des associations locales. On peut difficilement me coller l’étiquette de marginal, d’agitateur.
Silence : Pour ton roman tu imagines une crise économique qui conduit à une transition qui se veut également ouverte aux différences sociales et culturelles. Une société du bonheur, pour tous et toutes ?
Michel : Un des enjeux de la transition, c’est la bienveillance à l’égard des autres, l’accueil de tous. Si quelqu’un s’intéresse à nos actions, il faut l’accepter même si cette personne roule en 4x4. Si on commence à reprocher aux gens leur fonctionnement, ils feront l’autruche.
Il est très important de rester attentif à l’autre. La société est faite de diversité, de parcours différents. À vouloir imposer un modèle unique, nous allons dans le mur. Pour fonctionner ensemble il faut que toutes ces diversités puissent s’exprimer.
Un des principes fondamentaux de la transition, c’est de rester optimiste, de ne pas être dans la dénonciation. L’idée du roman était donc de ne pas être donneur de leçon, plutôt de faire passer l’idée que ça peut bien, très bien se passer même. Que chacun comprenne qu’il peut être le ferment de ce changement et rendre cette transition collective possible. La grande tendance dans la société c’est de donner les clés du pouvoir et d’attendre des élus qu’ils fassent tout à notre place alors qu’ils ne sont que le reflet de ce qu’est la société.
Mais ce roman reste de la littérature, je ne suis pas économiste, je n’ai pas de connaissances particulières en géopolitique. C’est plutôt de l’ordre du témoignage, il retrace des initiatives que nous prenons dans la vallée, des éléments concrets que nous développons, qui ont vu le jour ou qui nous l’espérons verront le jour.
Silence : Tu es très impliqué dans le groupe Munster en transition après avoir été adjoint au maire. Quels sont tes retours d’expériences ?
Michel : Le groupe de Munster en transition est composé d’environ 200 personnes dont 40 sont très investies dans des ateliers sur l’agriculture, la mobilité, la bienveillance, la communication non violente, etc.
Le meilleur ferment de la société que l’on essaye de construire ensemble c’est l’intelligence collective. Chacun à sa mesure, à son échelle peut apporter quelque chose au groupe.
Quand j’ai été adjoint au maire j’ai pris conscience que les attentes que l’on place sur nos élus sont disproportionnées par rapport à leur pouvoir. Ils n’ont pas une latitude absolue, il faut composer avec le contexte qui est déterminé par les mentalités, les habitudes des uns et des autres. Rien ne sert de venir avec ses grandes idées et de prendre à rebrousse poil des élus qui ne sont pas associés à cette réflexion et ne sont pas arrivés à la même conclusion, c’est contre productif. C’est les mettre en difficulté, voire en souffrance, ça les exaspère. Pour qu’une action puisse s’inscrire dans la durée et porter ses fruits il faut qu’elle soit partagée et comprise.
La plupart des gens sont ouverts et curieux mais il est difficile d’aller plus vite que la musique.
Elu, on a des responsabilités pour une durée limitée, le temps presse, c’est un des thèmes du roman.
Silence : Te sens-tu plus efficace en tant qu’élu ou en tant que membre associatif ?
Michel : Je n’ai pas tranché. Agir uniquement de l’extérieur ce n’est pas forcément productif, mais mes anciens collègues reviennent vers moi, pour des pistes à lancer, des idées. Du coup j’ai peut être contribué à produire un électrochoc, à semer des petites graines même si sur le moment j’avais l’impression que le terreau n’était pas très réceptif.
Mais c’est le sens même de la démarche bottom up qui consiste à faire émerger du terrain certaines choses, à susciter l’intérêt des décideurs. C’est un des postulats de Rob Hopkins : si quelque chose d’intéressant est développé sur un territoire par une association ou un individu, les dirigeants vont s’y intéresser et se tourner vers le porteur du projet pour voir comment relayer et soutenir la démarche.
Silence : Comment t’est venue l’idée de ce roman ?
Michel : Je suis parti du postulat que le manuel de Rob Hopkins avait une faiblesse : c’est un documentaire. S’il tombe dans les mains du citoyen lambda, celui-ci ne va pas forcément percuter l’intérêt de la démarche.
Par l’aspect romanesque, je dépeins également des événements pas très marrants pour montrer que la peur n’est pas une fatalité. Il est très difficile pour un peintre de peindre la lumière sans peindre les ombres, pour montrer la clarté il faut de forts contrastes.
Les tensions existent, les crises existent, mais leur donner trop d’importance les renforce. L’issue demande à chacun de faire des efforts pour atteindre des résultats, ça demande un investissement et de la persévérance.
Sinon, les ventes permettront peut-être de réaliser certains projets, comme la centrale électrique dont il est question dans le roman. S’il contribue à ce financement, ce sera magnifique car en partant d’une simple idée et en la retranscrivant avec de simples mots on peut déboucher sur des choses pratiques et concrètes et faire en sorte que ce livre ne soit pas une simple distraction gratuite.
Entretien réalisé par Jocelyn Peyret