Il faut vouloir y aller ! Vous devez commencer par remonter la vallée du Tech, l’une des plus proches de la frontière espagnole. Puis grimper dans la montagne jusqu’à Lamanère, la commune la plus au sud de l’Hexagone, rejoindre une piste forestière qui serpente de plus en plus haut, franchir une barrière, dont le code nous a été fourni, éviter les trous pendant cinq kilomètres, avant d’atteindre un plateau à 1000 m d’altitude.
Là, au moment où nous arrivons, Bernard Alonso, formateur québécois à la permaculture (1), explique à un groupe d’une quarantaine de personnes l’intérêt de savoir déterminer les courbes de niveau sur un terrain que l’on veut cultiver (2). Les personnes présentes (une trentaine d’hommes et une dizaine de femmes, de 17 à 60 ans) s’initient au « niveau égyptien » : avec trois branches formant un A et un fil tenu à la verticale par une pierre, cela permet de tracer au sol une courbe de niveau.
Un peu plus loin, près d’habitations en pierre, est installée une immense cuisine où quatre personnes préparent le dîner. Une salade de multiples plantes sauvages et cultivées accompagnera différents plats végétariens. Les cuisinier-e-s sont d’anciens stagiaires qui reviennent d’une année sur l’autre et obtiennent un stage gratuit en échange d’un certain nombre d’heures de bénévolat pour assurer l’intendance.
Sur un mur, une toile présente l’ensemble des activités du permacamp : c’est extrêmement varié. Enfin, sous une tente, des affiches expliquent l’origine du lieu.
Qu’est-ce que la permaculture ?
David, initiateur du camp, n’est pas là ce jour. Toutefois, il y a Jade, salariée aujourd’hui, et Jérôme, qui a participé à la première formation avant de revenir comme animateur. L’association « Permaculture et transition en pays catalan » est à l’origine du camp (3). Elle a travaillé avec l’Université populaire de permaculture (4), dans laquelle on trouve notamment le britannique Steeve Reed. Celui-ci a été le formateur de Jade, qui a passé le Permaculture design course (5), un diplôme qui permet ensuite d’enseigner à son tour la permaculture.
Pour le grand public, la permaculture un modèle agricole. Néanmoins, si l’agriculture a été le premier échelon entre l’homme et la nature, la permaculture ne s’y limite pas : c’est une méthode de réflexion et d’application qui peut se décliner pour n’importe quel projet. Comme le dit Bernard Alonso, « la permaculture est un mot construit de la même façon qu’architecture : il s’agit d’aller vers des procédés qui soient le plus proches possible du fonctionnement de la nature et le plus respectueux dans la durée ».
Cette méthode peut s’appliquer à n’importe quoi, par exemple au fonctionnement d’une association. C’est ce que l’on essaie de faire au sein de l’association Permaterran, qui est née autour du projet de camp : la formation que l’on y donne permet d’aborder la question de l’argent, d’élargir les contacts, et donc cela donne des moyens à l’association qui peut améliorer la formation, et ainsi de suite.
Les douze principes de la permaculture
Les animateurs de la permaculture aiment raisonner autour de douze points :
• observer et interagir ;
• collecter et stocker l’énergie (dans l’atelier que nous avons vu, il s’agissait d’économiser l’énergie destinée à remonter l’eau pour un arrosage… quand on peut l’empêcher de descendre, mais cela peut être aussi d’entretenir la matière organique du sol plutôt que d’apporter du fumier) ;
• créer une production (développer ses talents, déterminer ce que l’on aime, savoir ce que l’on peut faire d’utile dans la société, développer ses savoir-faire) ;
• appliquer l’autorégulation et accepter la rétroaction (tout ne fonctionne pas comme on l’avait prévu ! Il faut comprendre et accepter les conséquences de ce que l’on fait, savoir évoluer) ;
• utiliser et valoriser les services et les ressources renouvelables ;
• ne pas produire de déchets ;
• partir des structures d’ensemble pour arriver aux détails ;
• intégrer plutôt que séparer ;
• utiliser des solutions à petite échelle et avec patience ;
• utiliser et valoriser la diversité ;
• utiliser les interfaces et valoriser les éléments en bordure ;
• utiliser le changement et y réagir de manière créative.
Jade insiste pour dire que tout cela n’a rien de nouveau : ce sont des principes universels et de bon sens. C’est pour cela qu’ils peuvent s’appliquer à tout projet. Cela ne donne pas de solutions mais un moyen d’expérimenter, d’avancer, de s’adapter.
Un lieu où b(r)ouillonnent les pratiques
Les propriétaires du lieu ont prêté le terrain pour accueillir en 2013 un séminaire de deux semaines sur la permaculture. Ce cours a été donné en français par Andy et Jessie Darlington, un couple installé dans l’Aude depuis une trentaine d’années (6). Les propriétaires ont suivi le stage et bénéficié d’avantages en nature : installation de toilettes sèches, douches solaires, puis, au fil des ans, d’un four à pain, de constructions en bois, d’un poulailler mobile…
Chaque permacamp est l’objet d’un élargissement des activités avec des personnes invitées pour encadrer les formations : le jardinage agroécologique a été présenté par quelqu’un formé par l’association Terre et Humanisme (7) ; des apiculteurs viennent expliquer leurs méthodes ; des boulangers montrent comment faire le pain ; des biodynamistes exposent les spécificités de leur modèle agricole… C’est extrêmement varié : il y a eu des formations autour de la communication non-violente, des abeilles, des monnaies locales, de l’autoconstruction, de la forge, etc.
Jérôme, qui a participé aux rencontres des Ami-e-s de Silence, estime que l’on y aborde les mêmes thèmes, mais que le permacamp est plus structuré : le programme est prévu en amont, on fait venir des intervenants extérieurs… ce qui a un coût et nécessite des inscriptions à l’avance.
Les gens qui viennent sont surtout français, mais aussi belges, suisses, espagnols et italiens (8). Cette année, les femmes sont en minorité mais ce n’était pas le cas l’année précédente. Le choix des animateurs et des sujets a une influence sur la parité (9)… donc c’est en amont, au niveau de ces thèmes, qu’il faut veiller à penser la question du genre.
On trouve pas mal de personnes en reconversion, surtout autour de projets d’installation en milieu rural du fait d’un partenariat avec le Fonds Vivea d’aides aux personnes en installation.
Comme nous avons été surpris d’entendre parler des groupes fourmis, dragon, dinosaure… , on nous a expliqué que les formations fonctionnent par une alternance de grands et petits groupes de 4 ou 5 personnes qui se choisissent un nom. Ce nombre de participants semble le plus efficace pour apprendre un savoir-faire : c’est une taille intermédiaire entre l’individuel et le collectif. Cela permet de mélanger des connaissances diverses.
Ecologie et permaculture
Mais alors, la permaculture est-elle un autre nom de l’écologie ? Pour les organisateurs, la permaculture est un prisme, une richesse qui permet de comprendre comment on se comporte les uns avec les autres, comment on développe des relations avec la nature, son environnement. C’est plutôt une méthode de recherche de cohérences.
Il y a effectivement peu de différences avec l’écologie, qui est parfois moins tournée vers la pratique. Ce n’est pas un hasard si le mouvement des initiatives de transition s’est développé autour du Manuel de transition de Rob Hopkins (10). Celui-ci est formateur en permaculture. Il expose douze étapes dans son livre, qui a été ressenti par les écologistes comme un formidable outil pour avancer vers une société plus résiliente.
La permaculture a donc influencé le mouvement de la transition, dont les initiatives les plus connues — comme les Incroyables comestibles (11) — ont créé un sentiment d’abondance possible, qui modifie la manière d’aborder les questions sociales du moment.
De même que le mouvement de la transition interroge sur la manière de communiquer avec tout le monde, donc de questions universelles, le permacamp essaie de s’ouvrir vers l’extérieur, malgré son isolement. La projection du film Sacrée croissance (12) a permis de débattre avec une vingtaine d’habitants du village. Cela reste modeste… En revanche, les stages permettent de tisser des liens bien au-delà de la durée du camp. Essentiellement par des blogs et des sites internet.
La convergence entre écologie, transition et permaculture devrait donc se poursuivre naturellement.
M. B.
• Permacamp, association Permaterra, 1 bis, rue Etienne-Dolet, 66000 Perpignan, http://www.permaterra.fr
(1) http://www.permacultureinternationale.org
(2) Pour favoriser la pénétration de l’eau dans le sol et ainsi éviter l’érosion et le besoin d’arrosage, le mieux est d’utiliser les chemins en surélévation comme des mini-digues. Pour ralentir l’écoulement, un chemin doit être le moins pentu possible. Les virages sont alors des zones privilégiées où on peut avoir des zones plus humides.
(3) Permaculture et transition en pays catalan, 1 bis, rue Etienne-Dolet, 66000 Perpignan http://ptepc.blogspot.fr/
(4) Université populaire de permaculture, http://permaculturefrance.org/
(5) En anglais, design signifie conception, aménagement, organisation, planification… C’est la capacité, à partir d’un projet, à le penser dans le temps et à fixer les étapes nécessaires pour le réaliser.
(6) Andy et Jessie Farlington, tél : 04 68 69 84 52, http://lepaysagecomestible.com
(7) Terre et Humanisme, mas de Beaulieu, 07230 Lablachère, tél : 04 75 36 64 01, http://terre-humanisme.org
(8) Comme tout est en français, la langue limite ceux et celles qui peuvent venir.
(9) Cette année, par exemple, l’atelier forge, assez physique, a sans doute plus motivé des hommes.
(10) Manuel de transition, coédité par Ecosociété (Québec) et Silence.
(11) Incroyables comestibles : plantations de cosmestibles mis à la disposition du public. Voir lesincroyablescomestibles.fr
(12) Sacré croissance, Marie-Monique Robin, voir http://www.m2rfilms.com