Antoine Glaser, ancien rédacteur en chef de la Lettre du continent, est considéré comme un « spécialiste de l’Afrique » dans la sphère médiatique française, qui le convoque régulièrement. Ainsi un journaliste de France Culture qui le recevait dans son émission (1), l’interrogeait sur ce que les cas de viols d’enfants par des militaires français en Centrafrique révélaient de la manière qu’a notre armée de s’y comporter. L’éminent fit cette réponse : « […] C’est un vrai problème au sein même des Nations-Unies, des casques bleus. Les gens s’imaginent que les casques bleus, c’est toujours des supers Européens bien équipés. En fait ce sont les pays les plus pauvres du monde, Bengladesh, Népal, Pakistan, qui envoient des casques bleus dans ces pays. Pour les opérations Sangaris, on peut aussi se poser la question, il y a eu des traumatismes de jeunes militaires. Souvent d’ailleurs, les gens ne se rendent pas compte, ils voient toujours un blond aux yeux bleus qui est un croisé et très souvent, c’est un jeune des banlieues qui est lui-même musulman et on l’envoie dans une guerre civile en Centrafrique. Ça ne justifie pas les abus sexuels mais ça veut dire qu’il faut aussi savoir qui on envoie, comment, et autre, en Centrafrique. »
Son intervieweur ne broncha pas, et annonça tranquillement la suite de l’émission, malgré le racisme abject d’un tel propos. Selon M. Glaser, donc, s’il y a des viols, c’est parce qu’on envoie en Afrique des « pauvres » du Bengladesh, du Népal ou du Pakistan ou des gens qui ne sont pas des « blonds aux yeux bleus » mais des « jeunes des banlieues » musulmans. Pour la gouverne du spécialiste, rappelons d’une part que le sexisme en général et le viol en particulier sont également répartis dans toutes les couches sociales de toutes les sociétés. D’autre part, il n’y a, pas plus en matière de viol que dans d’autres domaines, de races supérieures.
Remarquons aussi que le « spécialiste » a réussi à éviter soigneusement la question du comportement de l’armée française en tant qu’institution en Centrafrique. On pourra heureusement se tourner utilement, par exemple, vers un article de Mediapart (2) qui décrivait la responsabilité de l’ensemble de l’armée dans ces affaires, des soldats qui ont commis ces viols à leur hiérarchie qui ne fait pas de zèle pour faciliter les enquêtes. Selon l’article, ces crimes rejoignent le comportement de nombreux expatriés français dans le pays, tels « un groupe de magistrats hexagonaux en mission en Centrafrique [qui] sollicitaient sexuellement de nombreuses femmes, de l’expatriée blanche trentenaire à la gamine centrafricaine mineure. En France, cela tomberait sous le coup du harcèlement ou du crime sexuel, mais en Centrafrique, ils ont un sentiment total d’impunité ». Rappelons à M. Glaser que la magistrature n’est pas connue pour l’intégration des « jeunes de banlieue » dans ses rangs. Selon des sources de Mediapart « il y a eu une tentative d’étouffer, ou en tout cas de taire, l’affaire des viols par les soldats, afin de ne pas ouvrir la boîte de Pandore sur toutes les autres pratiques nauséabondes en Centrafrique de la part des internationaux : trafic de diamants, usage de drogues, parties fines avec des mineures, etc. »
Mathieu Lopes
(1) L’invité des Matins du 26 octobre 2015, présentée par Guillaume Erner, disponible sur le site de France Culture.
(2) En Centrafrique, les accusations contre l’armée française se multiplient, Mediapart.fr, 14 juillet 2015
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