Autour du mouvement féministe des Bas rouges (Rauðsokkahreyfingin), elles organisèrent une action qui devait marquer l’histoire de l’Islande. Le 24 octobre en effet, ce furent 90 à 95 % des femmes islandaises qui participèrent à ce « jour sans » ou « jour fermé », cessant toute activité : travail dans les usines, les administrations, les écoles... mais aussi bien sûr le travail domestique ! Et dans les rues de Reykjavik, 30 000 femmes sur les 200 000 habitant-e-s que comptait l’Islande à cette époque se retrouvèrent dans une ambiance joyeuse et revendicative.
Des clubs de couture aux ministères
Comment ont-elles fait pour réussir à mettre dans la rue les ouvrières sous-payées des conserveries de poisson, les universitaires, les étudiantes, leurs mères et leurs grand-mères ? Le féminisme n’est pas une histoire récente en Islande, il se développe parallèlement aux mouvements nationalistes qui, au 19e siècle, luttent pour l’indépendance d’un pays sous domination danoise, il s’ancre dans les nombreux clubs de femmes (clubs de lecture, de couture...) très présents dans la tradition protestante. Avec l’urbanisation et le travail des femmes, ces dernières ne se retrouvent plus ensemble pour broder mais pour discuter. Ysra, une femme pasteur, explique : « Nos clubs de lecture sont des institutions, c’est légitime et bien vu de se réunir sans les hommes ». Ces clubs seront donc des relais pour l’organisation de la grève. Ce jour-là, des femmes prirent la parole devant la foule pour la première fois, comme Adalheidur Bjarnfredsdottir qui représentait Sokn, le syndicat des travailleuses non qualifiées les plus mal payées d’Islande : « Les hommes gouvernent le monde depuis la nuit des temps, et à quoi ressemble-t-il ce monde ? »
En 2005, les Islandaises sont encore descendues dans la rue. Cette fois, elles étaient 60 000 pour exiger l’égalité réelle, car si les femmes sont entrées en politique (première femme cheffe d’état d’Europe en 1980, première femme ouvertement lesbienne à la tête du gouvernement de 2009 à 2013), les hommes sont toujours à la tête de l’économie et notamment des banques — aux mains de « nouveaux Vikings » comme le disent certaines — qui ont plongé l’Islande dans la crise.
De nouvelles sagas
On rêve de nouvelles « journées sans », en Islande et ailleurs, contre les inégalités et contre la financiarisation, et si comme le dit Torfi Tulinius, professeure d’histoire médiévale, « les femmes islandaises sont des héroïnes de saga », il serait temps d’en écrire de nouvelles. Créons des clubs de fictions où nous retrouver pour inventer les histoires dont nous avons besoin.
Isabelle Cambourakis