Dossier Alternatives Education Formation

Rencontre avec quelques acteurs de l’éducation populaire

Monique Douillet

Pour en savoir davantage sur les dynamiques actuelles, Silence est allé à la rencontre de plusieurs acteurs de l’éducation populaire. Le Caravanserail Café, situé à Villeurbanne, et les branches lyonnaises du Planning Familal, des MJC et du Crefad, lèvent le voile sur quelques questionnements qui les animent.

Le Caravansérail Café, à Villeurbanne, nous ouvre d’abord ses portes. Le lieu est clair, décoré simplement, mais avec goût (ce qui suffit à le différencier des locaux anonymes des collectivités locales), et donne sur un espace vert de belle taille. Son aisance surprend dans le cadre du centre commercial La Perralière, situé au milieu d’habitations à loyer modéré (1). Comme les caravansérails d’autrefois, ce lieu dit « café-pont » mêle les dégustations artistiques et alimentaires (plat du jour bio et végétarien). Je remarque qu’on y parle plusieurs langues, qu’on y porte ― ou non ― un voile, un boubou ou toute autre tenue vestimentaire en relation avec un courant de pensée ou de religion, dans le respect du libre-arbitre de chacun.

Un point de rencontre pour les habitants du quartier

Nathalie, l’une des fondatrices du lieu, me dit que l’objectif est de faire de ce local un point de rencontre pour les habitants du quartier. Il y a par exemple un espace destiné aux enfants, avec des jeux éducatifs et des livres, mais ce n’est pas une halte-garderie où l’on pourrait poser les petits pendant le temps des courses ! C’est plutôt un lieu où parents et enfants viendront partager un moment enrichissant en se frottant à d’autres modèles familiaux.
Les valeurs prônées par le lieu sont l’empowerment (anglicisme pour désigner le fait de se réapproprier du pouvoir), l’éthique, le respect et la bienveillance.
A l’origine se trouve une association, Education en héritage, qui croit à la force de l’intelligence collective et se définit comme une organisation apprenante.
L’esprit du projet : le Caravansérail Café est associatif et répond aux exigences de l’économie sociale et solidaire, grâce à un fonctionnement collaboratif et participatif : une valorisation du travail bénévole et la mise en place d’échanges non monétaires ; la promotion d’une éducation éthique et respectueuse du sujet ; la valorisation d’une autre consommation.
L’information sur les événements organisés (conférences, expositions, débats…) est diffusée de cercle en cercle sur le réseau des partenaires, parmi lesquels on compte les Colibris, les rencontres Dialogues en humanité (2), les AMAP, etc.
Comment et de quoi vit ce type de structure ? « L’équilibre financier du Caravansérail Café est précaire, explique Karima Mondon, présidente d’Education en héritage. L’association trouve son équilibre dans la détermination, l’envie et l’énergie de ses fondateurs et bénévoles. »

MJC : les activités de loisir ne suffisent pas à faire un projet d’éducation populaire

Détour par le centre de Lyon où Eve Deneuche, de la MJC du Vieux-Lyon, exprime ses questions. Sa structure « offre aujourd’hui une large palette d’activités de loisirs et de pratiques amateurs, accueille les enfants pendant les vacances et sur les temps périscolaires, dispose d’un bar associatif, offre une programmation de concerts, de spectacles, d’expositions et de débats citoyens, met en place des animations familiales et s’attache à faire vivre le quartier en proposant des événements festifs et conviviaux. Mais tout cela ne suffit pas à faire un projet d’éducation populaire en soi », ajoute-t-elle. « Dans une MJC, c’est l’engagement global au sein de la maison qui est sollicité. Le projet d’éducation populaire devient alors tel, par sa mise en œuvre elle-même : par exemple, les animateurs d’activités ne sont pas de simples enseignants d’une technique. Ils participent à la vie de la maison, partagent son éthique, sensibilisent les adhérents à une démarche collective. Les adhérents ne sont pas des clients : ils sont régulièrement invités à s’exprimer, à prendre leur part de responsabilité au sein du groupe, à confronter leurs points de vue et à transmettre leurs suggestions. Cette pratique vise à ce qu’ils accèdent à leur propre épanouissement et acquièrent une meilleure compréhension du monde qui les entoure. Le conseil d’administration, composé d’adhérents, citoyens actifs, se mobilise et s’engage afin de proposer les orientations culturelles et pédagogiques les mieux adaptées à la demande collective et les plus cohérentes pour une société en perpétuelle évolution. Chacun, animateur, adhérent, bénévole, est convié aux commissions, espaces de réflexion et force de proposition citoyenne. »

Planning familial : mettre à mal la hiérarchie des savoirs et des places

Comme l’ensemble des antennes du Planning familial, le planning du Rhône met en place des activités d’information, d’écoute, de soins et de formation, ainsi que des actions militantes, en lien avec la sexualité et la vie affective. Au sein de son équipe, les questions affluent sur ce qu’est leur mission d’éducation populaire. « Nous n’avons pas de définition construite et stable de l’éducation populaire. C’est quoi, l’éducation populaire ? Un mouvement, une idée, une méthode ? Tant de courants, de définitions se succèdent… Ce que nous avons, plus certainement, ce sont des pratiques empreintes d’une forme d’éducation populaire, au sens où elles interrogent la répartition et la hiérarchisation des savoirs et des positions », expliquent les membres de l’équipe.
« Nous travaillons avec un ensemble de savoirs, socialement hiérarchisés : en général, on accorde plus de valeur et de légitimité aux savoirs médicaux sur le corps, qu’aux savoirs que les femmes construisent au fil de leur expérience. En donnant une place réelle aux savoirs considérés habituellement comme profanes et en donnant accès à d’autres formes de savoirs, nous pensons contribuer, à notre mesure, à renforcer la confiance en soi de chacun-e, et sa capacité réelle à vivre sa vie affective et sexuelle en faisant ses propres choix (contraceptifs, amoureux, de santé…). Nos tentatives de déhiérarchiser les savoirs se traduisent également dans notre organisation interne : la cogestion mise en place (CA – salariées) s’appuie sur l’idée que tous les points de vue ont la même légitimité et importance dans les discussions stratégiques. Le transfert régulier de savoirs et de compétences entre toutes permet de faciliter la participation réelle de chacune aux prises de décisions. » (3)

Au Crefad, des « ateliers renversants »

Le Crefad Lyon, association issue du réseau Peuple et Culture, cherche à questionner et renouveler son approche de l’éducation populaire. Situé dans les locaux d’un collectif artisans-artistes, sur la Croix-Rousse à Lyon, « L’atelier des Sarrazineurs », il revendique comme valeurs la laïcité, la lutte contre les inégalités, les injustices et les intolérances, et pratique « l’entraînement mental » visant à la pensée critique alliée à la pratique. Il organise entre autres des « ateliers renversant », par exemple du théâtre-forum (« jouer pour déjouer les rapports de domination »), ou encore des méthodes de lecture collective sur le thème « radicalité et principe de réalité ».
Son questionnement central : comment penser et structurer son action dans la complexité ? Il propose également des espaces originaux tels que l’orchestre des lecteurs, atelier où l’on expérimente des lectures à plusieurs voix, avec solos et arrangements sonores, ouvert aux curieux de la musicalité du langage, de l’entrelacement des voix et des textes, et des ambiances sonores. Ce sont des conventions de formation et les financements ponctuels qui permettent à l’association de vivre au jour le jour.

Une diversité d’initiatives qui reflète celle de l’éducation populaire en général, multiforme dans ses thématiques, dans ses projets comme dans ses influences. On retrouve quand même une unité dans leur projet commun d’être des lieux et des vecteurs d’émancipation populaire pour permettre de mieux prendre sa vie en main face aux dominations de toutes sortes.

Monique Douillet


• Caravansérail Café, 50, rue du 4-Août-1789, 69100 Villeurbanne, tél : 09 52 46 45 38, http://caravanserail-cafe.com
MJC Vieux-Lyon, 5, place Saint-Jean, 69005 Lyon, tél : 04 78 42 48 71, www.mjcduvieuxlyon.com
• Planning familial du Rhône, 2, rue Lakanal, 69100 Villeurbanne, tél : 04 37 47 21 31
• Crefad Lyon, 46, rue de Cuire, 69004 Lyon, www.crefadlyon.org

Le secteur Jeunesse et éducation populaire en chiffres, c’est :
• plus de 430 000 associations d’éducation populaire (soit 49 % des associations françaises)
• 6 millions de bénévoles
• un budget cumulé de l’ordre de 18 milliards d’euros, soit 1,4 % du PIB
• autour de 680 000 emplois (environ 330 000 équivalents temps plein).

Plus de 70 mouvements nationaux de jeunesse et d’éducation populaire sont représentés auprès des pouvoirs publics par le Comité pour les relations nationales et internationales des associations de jeunesse et d’éducation populaire (CNAJEP).

Ce dossier est donc loin de faire le tour des acteurs et des expériences, ne serait-ce qu’en France ! Silence a déjà largement donné la parole à des éducateurs des secteurs loisirs et vacances de l’enfance et de la jeunesse — spécialement à travers les alternatives en région —, et nous n’avons donc pas proposé de nouveaux témoignages dans ces domaines. Idem pour les activités artistiques engagées qui s’en réclament, dans la mesure où nous avions déjà interrogé le responsable de la compagnie de théâtre « Brut de béton » au sujet du spectacle La Prière de Tchernobyl, la Compagnie des 4, qui participe à la lutte pour l’égalité des femmes, les cafés « Lecture et écriture » et les Réseaux d’échanges et de savoirs. M. D.

(1) A une station de métro des gratte-ciel de Villeurbanne, dans le Rhône.
(2) Temps d’échanges organisés autour de la parole ouverte et bienveillante et des enjeux humanistes, chaque année à Lyon. http://dialoguesenhumanite.org
(3) Les réflexions ne s’arrêtent pas là : « Ce que nous avons aussi, ce sont des questionnements liés à l’éducation populaire : dans quelle mesure les ’usager-e-s’ qui font appel à nous peuvent-elles-ils (re)devenir actrices-teurs de l’association, dans le contexte d’une activité qui s’est professionnalisée au fil des décennies ? Quelles relations de pouvoir diverses se perpétuent au sein de nos actions et de notre organisation ? Que pouvons-nous mettre en œuvre pour les limiter dans la perspective de construire ensemble un mouvement féministe et d’éducation populaire, outil de la transformation sociale que nous voulons ? »

Bibliographie (non exhaustive)

• Benigno Cacérès, Histoire de l’éducation populaire, Le Seuil, 1964
• Geneviève Poujol, l’Education populaire : histoires et pouvoirs, Ouvrières, 1981
• Paulo Freire, Pédagogie des opprimés, La Découverte, 1982
• Education populaire, le retour de l’utopie, Politis, hors-série n° 29, février-mars 2000
• Jean Bourrieau, l’Education populaire réinterrogée, L’Harmattan, 2001
• Jean-Marie Mignon, Une histoire de l’éducation populaire, La Découverte, 2007
• Education populaire : une actualité en question, Agora, débats/ jeunesse, septembre 2007, no 44
• Bazin Hugues, « Les enfants non reconnus de l’éducation populaire », in Agora débats/jeunesses, septembre 2007, no 44, pp. 46-61, L’Harmattan
• Franck Lepage, L’Education populaire, Monsieur, ils n’en ont pas voulu…Inculture(s) 1, éd. du Cerisier. 2007
• De l’éducation populaire à la domestication par la « culture ». Histoire d’une utopie émancipatrice. Le Monde Diplomatique, mai 2009, no 662, pp 4-5
• Christian Maurel, Education populaire et puissance d’agir, L’Harmattan, 2010
• Damien Cerqueus, Mikaël Garnier-Lavalley (dir.), Dix raisons d’aimer (ou pas) l’éducation populaire, éd. de l’Atelier, 2010
• Hugues Lenoir, Pour l’éducation populaire : 1849-2009, éd. Libertaires, 2012
• Hugues Lenoir, Autogestion pédagogique et éducation populaire, éd. Libertaires, 2014
• Marc Heber-Suffrin, L’Education populaire – une méthode, douze entrées pour tenir ouvertes les portes du futur, Chronique sociale, 2014

Sur le web

www.education-populaire.fr
www.hugheslenoir.fr
• Groupe de Réflexion sur la Recherche en Education populaire, https://grrep.wordpress.com
www.mondefemmes.org voir Féminisme, comment dire le juste et l’injuste. Pour une éducation populaire féministe, Hansotte, M., 2003. Une réflexion prospective pour l’éducation populaire aujourd’hui, séminaire, janvier-juin, Liège, Belgique.

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