En octobre 2014, la rue burkinabè (1) en ébullition chassait le dictateur Blaise Compaoré qui régnait sur le pays depuis 1987, et l’assassinat du révolutionnaire Thomas Sankara. Compaoré, trop gourmand, avait tenté de modifier la Constitution pour se maintenir au pouvoir malgré sa limite de mandats atteinte. Les Burkinabè avaient alors assiégé les lieux de pouvoir du pays, jusqu’à la fuite du despote dans un hélicoptère des forces spéciales françaises.
En septembre 2015, le Régiment de sécurité présidentiel (RSP), sur lequel le dictateur s’est appuyé pour régner, et qui n’avait pas été démantelé par les autorités de transition, a tenté un coup d’État, dirigé par l’ancien numéro 2 du régime, Gilbert Diendéré. Ils reprochaient à la transition l’interdiction de concourir aux futures élections faite aux derniers défenseurs de l’ancien régime, mais ils espéraient aussi échapper à la dissolution annoncée de leur régiment ainsi qu’à plusieurs enquêtes criminelles en cours. En effet, plusieurs membres du RSP, dont le général Gilbert Diendéré, sont fortement suspectés d’avoir commis la plupart des crimes politiques ayant jalonné les décennies Compaoré : de l’assassinat de Sankara à celui du journaliste Norbert Zongo, en passant par des tortures et meurtres d’opposants. Depuis un an, les autorités de transition mises en place après l’insurrection ne se sont pas contentées d’organiser les premières élections libres du pays, mais ont aussi fait avancer de nombreux dossiers judiciaires et tenté d’assainir la gestion des ressources du pays, accaparées par l’ancien clan du président.
Les Burkinabè reprennent la main
Mais les Burkinabè n’ont pas accepté la reprise en main du pays par le RSP. Comme l’an dernier, autour des mouvements de société civile et des syndicats, ils ont occupé la rue, brûlé les domiciles des putschistes. Les chefs d’État d’Afrique de l’Ouest, soutenus par François Hollande, ont tenté d’imposer au pays un plan de sortie de crise qui faisait la part belle aux putschistes : remise du pouvoir à la transition, ré-admission des candidats de l’ancien régime aux élections et, surtout, amnistie pour les putschistes. Les Burkinabè ont préféré s’en sortir par eux-mêmes : en ralliant à leur cause des jeunes officiers de l’armée régulière, qui ne s’étaient jusqu’alors pas positionnés par rapport au putsch, ils ont pu imposer aux putschistes le désarmement, presque sans combat. Diendéré et d’autres figures du putsch ont déjà été arrêtés et inculpés, le RSP ayant tué au moins une dizaine de personnes et fait au moins 250 blessés lors de ces journées.
Un putschiste ami de la France
Diendéré était un vieux compagnon de la France et des USA : principal interlocuteur de la coopération militaire avec l’ancienne dictature, partenaire dans la lutte anti-terroriste dans la région, il avait même été décoré de la Légion d’Honneur en 2008. La France aurait probablement pu s’accommoder d’un succès du coup d’État. Malgré une condamnation publique au début du putsch, ce n’est que lorsque le RSP fut clairement défait que des actes concrets de distanciation ont été posés. Lancée dans une opération de communication pour redorer son image, la France pousse désormais à des élections rapides, qui devraient être passées lors de la publication de ces lignes. C’est probablement un des favoris (Zéphirin Diabré, ancien du groupe Areva, ou Roch Marc Christian Kaboré), tous deux proches des réseaux français, qui a aujourd’hui été élu à la présidence. Mais les Burkinabè ont montré qu’ils étaient capables de maîtriser leur pays, même face aux forces les plus répressives, et ils sauront probablement maintenir la pression sur leurs nouveaux dirigeants afin de faire avancer les intérêts populaires et les idéaux de justice.
Mathieu Lopes
(1) Le gentilé Burkinabè, issu d’une langue nationale du Burkina-Faso est invariable
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