Le fait d’organiser des marches a fortement influencé la mise en place d’une loi au niveau national sur l’accès à la terre pour les gens pauvres et marginalisés. En Inde, 50 millions de personnes sont sans abri et sans terre en milieu rural. 200 millions sont des « dalits » c’est-à-dire hors castes, parmi eux, 70 % ne possèdent pas de terre. 10 millions de pécheurs ont été déplacés à cause de l’industrie hôtelière et touristique, 111 millions sont nomades, possèdent des troupeaux et se déplacent là où ils peuvent pour nourrir leurs animaux. Les gens pauvres et marginalisés représentent 30 % de la population indienne. C’est énorme !
Les injustices sont immenses, c’est pourquoi la lutte doit être à leur mesure. Or, en temps normal l’Etat n’écoute pas ces populations.
Nos méthodes de lutte sont entièrement non violentes. De nombreux groupes pratiquent ce mode d’action aujourd’hui. Ce qui est intéressant ici, c’est que ces gens font partie des plus pauvres du monde. Ils marchent. Ils vont à Delhi parler au premier ministre du droit à la terre. Ils résistent aux injustices en public. Ils refusent de se faire appeler « victimes ». Ils se tiennent debout pour défendre leur intégrité et leurs droits.
Au-delà de l’accès à la terre, Ekta Parishad travaille-t-elle sur les formes et les pratiques agricoles ?
Nous travaillons à deux niveaux. Le premier niveau consiste à accéder à la terre, cela signifie que les gens doivent se lever pour leur droit, marcher et lutter. Ensuite, ils doivent apprendre à vivre de cette terre en pratiquant une agriculture biologique et/ou traditionnelle.
En 2008, 3,5 millions de familles se sont vues octroyer un accès à la terre. C’était une victoire pour eux. Mais comparé à l’échelle de la population, ce n’est pas un succès suffisant.
Ceux qui ont obtenu un accès à la terre passent à la 2e phase. Le développement de leur activité doit être mené dans un esprit communautaire. L’objectif est de coopérer : créer des groupes de fermes et se rassembler pour la vente de certains produits. Car isolé, il est facile d’échouer et de se faire expulser, face à un groupe c’est bien plus difficile. Cette seconde phase est très importante pour Ekta Parishad, car c’est d’elle que dépendent la pérennisation du projet sur le long terme et la revitalisation des villages.
Quelle est la situation des paysans en Inde et y a-t-il de l’espoir de voir se développer une agriculture vivrière ?
Des études indiquent que 70 % des enfants de fermiers veulent rejoindre la ville pour trouver un boulot. La propagande y incite et le gouvernement ne fait rien en faveur des petits fermiers. Il est concentré sur l’urbanisation et le développement industriel, nullement sur le soutien d’une petite agriculture qui permette d’assurer des prix justes. Si les prix ne sont pas justes, pourquoi voulez-vous que les jeunes veuillent travailler dans l’agriculture ? L’autre problème est que les ressources en eau sont monopolisées par les villes, entraînant la diminution en grand nombre des fermes autour d’elles.
Les gens dépossédés de leur terre s’en vont rejoindre la ville où les attendent des conditions difficiles. Mais le gouvernement ne veut pas investir dans le milieu rural. Il préfère miser sur la construction de 100 nouvelles villes comme Delhi. Ce n’est pas une réponse... Quel sera l’emploi pour ces gens ? Leur idée est de booster l’industrialisation. Mais seulement 9 % de la population active est employée dans ce secteur, alors que 91 % se trouve dans le secteur « non organisé » incluant l’agriculture.
Propos recueillis par Manon Canovas et Thibaud Chéné
Ekta Parishad, contact en France : MAN, 47, avenue Pasteur, 93 100 Montreuil, tél. : 01 45 44 48 25, www.nonviolence.fr ou Peuples Solidaires, Antoine Bouhey, 2B, rue Jules Ferry, 93 100 Montreuil, tél. : 01 48 58 21 85.