L’image est célèbre et a fait le tour des mouvements écologiques : on y voit des femmes encerclant un arbre pour empêcher des compagnies privées de l’abattre. La scène se déroule en 1974 en Inde dans le village de Reni, dans l’Uttarakhand, dans l’Himalaya, dans une région de montagne où les hommes sont souvent contraints à l’émigration et où les femmes tirent encore une partie de leur subsistance de la forêt. Ces femmes appartiennent au mouvement Chipko (mouvement de l’étreinte) qui au cours des années 1970 et 1980 s’est opposé à la déforestation de leurs vallées. Si Vandana Shiva en a très rapidement fait le modèle de l’écoféminisme du Sud, d’autres récits complètent et complexifient cette lutte qui est à l’origine des luttes environnementales en Inde.
Une culture de la non-violence
Le geste d’embrasser les arbres fait partie d’un imaginaire culturel qui remonte selon Vandana Shiva au moins à 1730 lorsqu’une femme, Amrita Devi, fut tuée avec d’autres pour avoir voulu empêcher le maharaja local d’abattre les arbres autour du village. Geste repris dans les chansons et le folklore Garhwali et réactivé par le mouvement non-violent et les disciples de Gandhi.
Ainsi retrouve-t-on à l’origine du mouvement Chipko, la présence du mouvement non-violent Sarvodaya, notamment en 1973 dans le district de Chamoli où il est à l’origine d’une manifestation qui lança la résistance à l’abattage des arbres. On constate aussi l’influence des femmes proches de Gandhi comme Mirabehn ou Sarla Behn qui jouèrent des rôles très importants dans l’élaboration des mouvements écologiques indiens, ainsi que dans la lutte contre l’alcoolisme qui jeta les bases d’une organisation de femmes dans la région.
Un mouvement environnemental et pour l’égalité des femmes
A ces influences culturelles et politiques s’ajoutèrent les conditions spécifiques des femmes de cette région très pauvre, qui toutes travaillaient dans l’agriculture et subissaient l’érosion due à la déforestation. Les hommes étant souvent absents, elles avaient la charge complète de l’entretien de la famille ; en revanche, dans cette société très patriarcale, elles n’avaient aucun rôle dans les prises de décisions. Dans la vallée de Pindar, les femmes ont dû s’opposer aux hommes du village qui avaient accepté la vente d’une partie de la forêt pour la création d’une ferme industrielle. Cette vente obligeait les femmes à marcher plusieurs heures par jour pour trouver le bois de chauffage et le fourrage nécessaires à la vie quotidienne. Elles ont alors dû faire appel à d’autres femmes Chipko pour défendre les arbres. La participation de toutes ces femmes au mouvement Chipko leur a permis de réclamer un rôle plus actif dans l’espace public, à l’image de leur investissement dans l’économie locale et dans les luttes environnementales. Elles ont créé des coopératives, des camps d’éco-développement, des campagnes de reboisement...
Jusqu’à aujourd’hui, elles inspirent, en Inde et au-delà, les femmes qui se battent à la fois pour la justice environnementale et contre les inégalités de genre.
Isabelle Cambourakis