S’affirmer végéta*ien-ne découle d’une prise de conscience. Ce n’est pas seulement un choix alimentaire mais un acte plus global qui prend en compte ce qu’implique, dans tous les domaines, le fait de consommer de la viande ou du poisson. De fait, il n’y a pas toujours une raison unique qui nous conduit à être végéta*ien-ne, mais souvent un ensemble de considérations. Cette prise de conscience peut se faire grâce à une rencontre, au visionnage d’un documentaire ou à la lecture d’un article…
Pour plus de commodité, nous reprenons le terme de végéta*ien-ne qui regroupe les végétariens et végétaliens ; nous les distinguerons quand cela nous semblera nécessaire. Il y a aujourd’hui en France environ 2% de végéta*iens, chiffre qui n’évolue guère.
La souffrance, la mise à mort et le respect
Pour 75 % des végétariens (1), c’est là la raison première qui amène à adopter une alimentation ne provoquant ni la souffrance ni la mort des animaux. Bien souvent, on ne souhaite pas s’attarder sur ce point, voire on l’occulte plus ou moins consciemment, mais toute viande provient d’un animal et sa consommation engendre un nombre de morts considérable. Chaque année, 60 milliards d’animaux terrestres sont tués, dont 1 milliard en France ! Mille milliards d’animaux marins le sont également (2).
Au-delà du simple fait de les tuer pour se nourrir de leur chair, ce qui, en soi, est déjà une raison tout à fait valable pour s’en abstenir, il y a tout ce qui précède la mort, c’est-à-dire les méthodes d’élevage et d’abattage intensifs : animaux élevés en batterie, sur caillebotis, qui ne sortent jamais. Ils sont confinés, entassés dans des salles ou des box obscurs, gavés afin d’être consommables le plus rapidement possible, rentabilité oblige. Surmédicalisation (antibiotiques), mutilation pour cohabiter (queue, bec, crocs coupés à vif…), période de reproduction artificiellement contrôlée… l’optimisation de la production animale ne semble plus connaître de limites.
Les abattoirs sont des zones interdites, et cette interdiction masque ainsi les conditions de mise à mort des animaux (3). De fait, moins on les connaît, plus elles sont acceptables.
Tout ceci nous amène à la question de la souffrance animale. Les animaux se rendent-ils compte de leurs conditions de vie et souffrent-ils ? Le bon sens et la science (biologie évolutive, éthologie cognitive, neurosciences sociales) montrent que ce sont des êtres conscients, capables de relations complexes et dotés de personnalités propres. Selon Claudine Junien, professeur de génétique à l’Institut national de recherche agronomique (INRA), « il n’existe aucune bonne raison, ni scientifique ni philosophique, de nier que les animaux ressentent la peur, la douleur. A moins de dissonance cognitive, il est aujourd’hui impossible de justifier moralement le fait de considérer la douleur (ou le plaisir) que ressentent les animaux comme moins importante que la même quantité de douleur ou de plaisir ressentie par un humain » (4).
« Les sentiments échappent au microscope »
Marc Bekoff, biologiste américain, a passé sa vie à étudier le comportement des animaux. « Lorsque j’ai commencé mes études, écrit-il, les chercheurs, pour la plupart, étaient des sceptiques occupés à se demander si les chiens, les chats, les chimpanzés et d’autres animaux éprouvaient quoi que ce soit. Comme les sentiments échappent au microscope, ces scientifiques, en général, n’en trouvaient pas. »(5) Jonathan Foer va plus loin : « Aucun poisson ne connaît une mort douce. Pas un seul. Pas la peine de se demander si le poisson dans votre assiette a souffert. La réponse est toujours oui. Que nous parlions de poissons, de porcs ou d’autres animaux que nous mangeons, cette souffrance est-elle la chose la plus importante au monde ? Manifestement pas. Mais là n’est pas la question. Cette souffrance est-elle plus importante que les sushis, le bacon ou les chicken nuggets ? Là est la question. » (6)
En France, ce n’est que très récemment, le 28 janvier 2015, que le code civil a reconnu les animaux dits « de propriété » — c’est-à-dire aussi bien les animaux d’élevage que les animaux domestiques — comme des êtres vivants et sensibles et non plus soumis au régime des biens matériels. Cette réforme pourrait être le point de départ d’un véritable débat sur la question animale et sa place dans notre société.
Dans son livre Que diraient les animaux si… on leur posait les bonnes questions ? (La Découverte/Poche, 2014), la philosophe Vinciane Despret cite Jocelyne Porcher, qui suggère de considérer l’animal que l’on a tué comme un défunt. « Un défunt : non une carcasse, des kilos, un produit alimentaire : un être dont l’existence continue sur un autre mode parmi les vivants (…), dont l’existence se prolonge sinon dans nos mémoires, dans nos corps ». Il reste donc, pour reprendre Dona Haraway, à apprendre comment faire mémoire, à « hériter dans sa chair », et trouver une manière d’honorer ces morts.
Cary Wolfe prolonge cette réflexion en se demandant : « Qu’est-ce qui constitue une vie dont on peut porter le deuil ? ». Les animaux peuvent en faire partie, si l’on considère que « des millions de personnes éprouvent un chagrin profond pour leur compagnon animal disparu ». Le deuil est le signe de la vulnérabilité réciproque de la vie qui s’éteint et de la nôtre, qui accepte de se sentir affectée par cette autre vie. « C’est par le chagrin auquel on s’engage que la vie pourra compter ». C’est, estime Vinciane Despret, l’expérience que vivent certains éleveurs qui connaissent le chagrin. « C’est ce que nous racontent les photos de certaines de leurs vaches qui ornent les murs de leurs maisons ; c’est également ce dont les noms qu’ils donnent à leurs animaux –en sachant que ces noms mêmes signeront la tristesse et la possibilité de mémoire- attestent ».
Occupation des terres et effet de serre
Les motifs environnementaux sont arrivés plus récemment dans l’argumentaire végéta*ien. L’élevage d’animaux dits « de boucherie », et qui plus est l’élevage industriel et/ou intensif, système dominant (aujourd’hui 99 % de la viande consommée en France provient d’un élevage industriel), sont la source d’innombrables gaspillages et pollutions. La première conséquence porte sur l’occupation des terres directement ou indirectement utilisées pour l’élevage. Selon le rapport L’Ombre portée de l’élevage, publié par la Food and Agriculture Organization (FAO) (7) en 2009, cela représente 70 % des terrains agricoles, qui se répartissent entre pâturages et cultures de céréales destinées à l’alimentation des élevages. A titre de comparaison, cela couvre 26 % de la surface émergée de la Terre et un tiers des terres arables. Ces immenses superficies consacrées à l’élevage posent le problème de la déforestation.
Par ailleurs, l’élevage, en particulier des ruminants, est responsable selon la FAO de 18 % des gaz à effet de serre d’origine anthropique. Parallèlement, l’ensemble du secteur des transports émet 13 % des gaz à effet de serre.
Des recherches ont porté sur des méthodes d’analyse qui prennent en compte tout le cycle de vie des aliments (de leur fabrication à leur élimination), et proposent les équivalences suivantes : un Européen consommant 1 kg de viande de bœuf provenant du Brésil rejette indirectement autant de C02 que s’il parcourait 1600 km avec une voiture émettant environ 355 kg de CO2 ; s’il consomme 1 kg de viande produite dans son pays, il ne parcourt plus que 111 km (8)…
Utilisation et pollution de l’eau
L’élevage puise aussi dans les réserves d’eau. Ainsi, une étude réalisée en 2012 par l’Institut international de l’eau de Stockholm estime que les régimes riches en viande et en produits animaux utiliseraient dix fois plus d’eau que les régimes végétariens. Des équivalences ont été formulées : pour obtenir 1 kg de viande de bœuf, 15 500 l d’eau sont nécessaires, 5 000 l pour 1 kg de porc, 4 000 l pour 1 kg de poulet. Il faut 3 000 l d’eau pour produire 1 kg de riz et 900 l pour un 1 kg de maïs.
Par ailleurs, l’élevage pollue aussi l’eau, notamment les rejets chargés en azote et en nitrate, ce qui a aussi des répercussions sur la faune et la flore aquatique, les sols… 70 % des ressources d’eau douce sont dégradées ou polluées. Aux Etats-Unis, 80 % de l’eau potable sert à l’élevage des animaux. En parallèle, 40 % de la population mondiale vivant dans 24 pays souffre d’une pénurie d’eau potable... Certes, aucune culture n’est sans impact sur l’environnement, mais l’élevage industriel a des répercussions considérables (9).
Nourrir le monde
Aujourd’hui, nous sommes 7 milliards d’êtres humains, et près de 850 millions de personnes souffrent de faim et de malnutrition. D’ici 2050, la Terre pourrait compter entre 9 et 10 milliards d’habitants. Comment parvenir à nourrir tout le monde et, surtout, en suivant un régime alimentaire carné comme celui des pays « développés » ? Il est notable que plus un pays se « développe », plus l’alimentation de ses habitants est riche en viande. La Chine en est un bon exemple : la production de viande y augmente d’environ 10 % tous les dix ans, et elle consomme aujourd’hui 71 millions de tonnes de viande par an. La planète ne dispose pas de ressources suffisantes pour supporter cette tendance et offrir tant de viande à chacun-e.
D’ici 2050, la production de viande devrait doubler. La quantité d’alimentation végétale à produire pour nourrir les animaux d’élevage correspondra alors à celle pouvant subvenir aux besoins de 4 milliards d’humains. La conséquence en serait une inévitable crise alimentaire. La solution consiste donc à réduire nettement la consommation de viande, voire à y renoncer. Le végétarisme ne résoudrait sans doute pas complètement la question de la faim dans le monde, mais il pourrait largement y contribuer. Si l’on retient qu’il faut 6 ou 7 protéines végétales pour produire une protéine animale, on peut alors tabler sur le fait qu’un végétarien consomme environ 180 kg de céréales par an, alors qu’un mangeur de viande, par l’intermédiaire du bétail, en consomme 930 kg. On ne nourrit donc pas le même nombre de personnes avec un régime carné ou non carné.
La santé aussi
Les différents scandales alimentaires, comme celui de la vache folle, ont conduit un certain nombre de personnes à consommer moins de viande et, mieux encore, à s’interroger sur la provenance de celle-ci, entre autres. De plus, des études récentes ont établi que la viande rouge et la charcuterie augmentent le risque de cancer du colon et de l’estomac, ainsi que les maladies cardiovasculaires. A l’heure actuelle, il y a une tendance, un effet de mode peut-être, à mieux manger, plus équilibré et varié, afin de prendre soin de soi ; cela implique souvent moins de viande et plus de légumes, céréales et légumineuses.
Béatrice Blondeau
Fondée en 1995 sous le nom d’Alliance Végétarienne, elle est la plus importante association française consacrée à la promotion du végétarisme et de l’alimentation végétarienne. L’AVF compte
plus de 4300 adhérent-e-s, une centaine de bénévoles ainsi que des délégations dans toutes les régions et de nombreux évènements locaux : cours de cuisine, rencontres, conférences… Elle publie une revue trimestrielle, Alternatives Végétariennes, qui aborde tous les aspects liés à l’alimentation végétarienne (santé, écologie, éthique, cuisine).
L’AVF a pour but de favoriser le développement du végétarisme et de l’alimentation végétarienne en France. Ses moyens d’action sont principalement l’information et la communication positive, ainsi que la facilitation de la transition alimentaire.
Elle s’adresse également aux collectivités et aux pouvoirs publics, et intervient dans les médias et l’espace public (évènements liés à la solidarité et à l’écologie…).
En 2015, l’AVF lance une grande campagne autour du climat, car manger plus végétal est une bonne manière de réduire son empreinte carbone. En particulier, dans la perspective de la Conférence de Paris 2015, elle organise un concours à destination des étudiant-e-s, le Défi Veggie.
Élodie Vieille Blanchard,
présidente de l’Association Végétarienne de France
Association Végétarienne de France, Mont, 58360 Saint-Honoré-les-Bains, www.vegetarisme.fr (avec des infos nutritionnelles, des actualités, un forum, un service de petites annonces, un agenda…) et 123veggie.fr (avec de nombreuses recettes de cuisine) .
(1) Enquête TerraEco / Opinion Way 2012.
(2) La consommation de poisson a doublé en 50 ans dans le monde (source : Food and Agriculture Organization), et certaines espèces comme le thon rouge sont en difficulté. Les méthodes de pêche sont elles aussi à revoir. Pour aller plus loin, voir le dossier du no 17 de Kaizen : « Peut-on encore manger du poisson ? »
(3) Le documentaire Terriens, de Shoan Monson, (Earthlings, 2005) filmé en caméra cachée, montre dans quelles conditions vivent et sont tués les animaux d’élevages industriels destinés à notre consommation. La version française est disponible sur Vegemag : http://www.vegemag.fr/actualite/earthlings-le-film-choc-disponible-en-francais-et-en-integralite-sur-vegemag-3961
(4) « Une histoire prolongée de la relation homme-animal », Claudine Junien, Catherine Gallou-Kanabi, Alexandre Vigé. « L’Homme, le mangeur et l’animal. Qui nourrit l’autre ? » sous la direction de Jean-Pierre Poulain, Les Cahiers de l’Ocha, no 12, Paris, 2007.
(5) Les Emotions des animaux, Marc Bekoff, Payot & Rivages, 2009.
(6) Faut-il manger les animaux ? Problèmes éthiques autour de la viande, Jonathan Safran Foer, Editions de l’Olivier, 2009.
(7) Organisation des Nations-Unies pour l’agriculture et l’alimentation.
(8) « Including CO2 implications of land occupation in LCAs », Kurt Schmidinger, Elke Stehfest, The International Journal of Life Cycle Assessment, vol. 17, septembre 2012.
(9) Très complet, l’Atlas de la viande est disponible en ligne sur le site des Amis de la Terre France : www.amisdelaterre.org
Pour aller plus loin
• Fondements éthiques pour une alimentation végétarienne de Helmut F. Kaplan paru en français chez L’Harmattan en 2008
• Bidoche, l’industrie de la viande menace le monde, Fabrice Nicolino, éditions Les liens qui libèrent, 2009
• Plaidoyer pour les animaux, Mathieu Ricard, Allary Editions, 2014
• Désobéir pour les animaux, par les Désobéissants, éd. Le passager clandestin, 2014.