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La Réunion : APLAMEDOM, les Zerbarz qui soignent

Gaëlle Ronsin

La Réunion est une île à la biodiversité renommée qui accueille de nombreux végétaux endémiques . Cette biodiversité constitue un vrai patrimoine auquel les Réunionnais sont très attachés. Patrimoine naturel mais également culturel, puisque les habitants de l’île utilisent depuis très longtemps les plantes dans leur vie quotidienne, en particulier pour se soigner. Une association tente de restaurer ces pratiques anciennes.

Pendant les deux guerres mondiales, la Réunion se trouve totalement coupée du monde. La médecine est alors fondée sur l’utilisation des plantes, et la transmission de ces savoirs médicinaux passe uniquement par l’oral : peu d’écrits existent.

Des plantes à l’image de leur société

L’association pour les plantes aromatiques et médicinales de la Réunion (Aplamedom) travaille depuis 1999 pour approfondir la connaissance, faire reconnaître et valoriser les plantes médicinales utilisées à la Réunion. Elle regroupe des pharmaciens, des chercheurs, des étudiants et des transformateurs.
Isabelle Duriez, chargée de communication et d’animation, nous raconte l’histoire de ces plantes si précieuses : « Dans les années 1950, la France reprend la main sur la Réunion et entend la faire bénéficier du ’développement’, au même titre que la métropole. A cette période, la médecine métropolitaine et l’offre de soins calquée sur le même modèle débarquent et s’imposent sur l’île. Mais les Réunionnais restent très attachés à la pratique de la tisane et cultivent encore tous aujourd’hui dans leur kour des plantes pour l’infusion. Les plantes médicinales constituent un patrimoine bien vivace sur l’île, notamment par le biais des tisaneurs . »
L’association développe donc des actions pour valoriser ces savoirs traditionnels, tout en veillant à ce qu’ils soient validés scientifiquement . Le concours Zerbaz Péi est organisé depuis neuf ans avec une quinzaine de classes de toutes les écoles de l’île : les enfants doivent faire compléter chez eux des questionnaires portant sur les pratiques phytothérapiques de leur famille. Ils réalisent ensuite un herbier avec la plante qu’ils utilisent le plus. Pour la peau, la digestion, le sommeil ou encore la grippe, l’Aplamedom a identifié 148 plantes utilisées régulièrement par les Réunionnais ! Parmi celles-ci, 25 espèces sont consommées par tous. « Nous nous sommes rendu compte que les remèdes sont rarement concoctés à partir de plantes de forêt mais plutôt de plantes exotiques venant d’Amérique du Sud, d’Europe, d’Inde, de Chine. La pharmacopée créole ressemble à la société créole ! Elle provient du monde entier. Par exemple, l’ayaparna, une plante du Brésil, est utilisée à la Réunion pour ses vertus digestives, alors que les Brésiliens s’en servent contre les morsures de serpent ! On a adapté les usages à la Réunion, et un vocabulaire propre à notre pharmacopée est né. Néanmoins, il y a bel et bien eu une cassure dans la transmission orale des connaissances sur les plantes médicinales. »

Des plantes magiques mais dangereuses

En 2006, l’épidémie de chikungunya, amplifiée par l’échec de la médecine allopathique, a poussé les gens à se retourner vers la pharmacopée réunionnaise. Or, il existe maintenant des erreurs dans la reconnaissance et l’utilisation des plantes médicinales, comme nous l’explique Isabelle : « Les Réunionnais ont de plus en plus de mal, par exemple, à identifier l’ayaparna parmi trois espèces de plantes proches. De même, en accumulant de la connaissance sur des plantes et leurs principes actifs, nous essayons maintenant d’orienter les gens vers des plantes connues et peu dangereuses, pour qu’ils ne prennent pas trop de risques s’ils ne connaissent pas les bons dosages. Ainsi, nous conseillons que la sensitive, utilisée comme calmant, soit maintenant réservée aux tisaneurs, en raison de sa toxicité. On continue notre travail de récolte des savoirs oraux, par exemple dans les maisons de retraite, tout en sensibilisant les personnes lors d’évènements comme la Fête de la science. Nous travaillons également pour former les professionnels de santé afin qu’ils puissent reconnaître les plantes mais également les maux causés par les intoxications aux plantes. »
Actuellement, un effet de mode du « retour au naturel » renforce ces problématiques : « Nous nous faisons aussi du souci pour la gestion de la ressource, si fragile sur cette île. Car cette mode incite tout un chacun à ramasser des plantes à tous les endroits de l’île, sans réfléchir aux conséquences sur la plante, sur l’espèce et sur leur santé. Nous sensibilisons aux méfaits des prélèvements des écorces et des racines car nous constatons régulièrement des actes de pillage sur des espèces endémiques comme le benjoin. »
Enfin, cette mode du naturel amène de plus en plus de commerçants à vendre sur les marchés forains des plantes à tisane, sans réelle traçabilité ni de leur cueillette ni du mode de séchage et de conservation, et avec une connaissance parfois lacunaire de la pharmacopée et des pratiques qu’ils conseillent pourtant aux acheteurs, selon l’Aplamedom. L’association cherche donc à combler ce manque en proposant un annuaire de producteurs dont les compétences sont reconnues, comme Kakouk, un tisaneur de forêt à l’Entre-Deux qui, grâce aux savoirs transmis par son père, collecte des plantes dans les forêts des Hauts, tout en sachant préserver la ressource.

Une reconnaissance à double tranchant

Seize plantes médicinales endémiques de la Réunion sont maintenant reconnues dans la pharmacopée française : le bois de joli cœur, le faham, le bois fleur jaune, l’ayapana et l’ambaville .
L’inscription de plantes médicinales des départements d’outre-mer constitue une première réparation d’une injustice datant du Code noir (1685) et de l’esclavage en faveur de l’outre-mer, puisque la première pharmacopée, appelée alors Codex, est éditée en 1818, époque où l’esclavage est encore d’actualité et où la médecine traditionnelle d’outre-mer exercée par les esclaves est interdite. Cette reconnaissance, souligne le président Claude Marodon, « permet maintenant leur commercialisation hors de la Réunion pour soutenir la filière des producteurs et transformateurs ». En France, la libre circulation des plantes médicinales est interdite et leur utilisation est régie par cette pharmacopée qui se fonde avant tout sur des considérations politiques et économiques. Les recettes traditionnelles de la Réunion risquent donc d’être régies désormais par des principes économiques, notamment celui des brevets. Ainsi, comment ne pas redouter l’accaparement des plantes des DOM par le monopole pharmaceutique ?

Gaëlle Ronsin

Portrait : François Tibère, tisaneur des hauts de Saint-Paul

Franswa Tibère est planteur dans les Hauts de la Réunion depuis 25 ans, installé sur une dizaine d’hectares de terrain où « zot y cultive des fruits, des légumes et bien sûr des tisanes ». Sur son terrain, il a introduit plus de 200 espèces de plantes et arbustes, endémiques et indigènes. Bois d’arnette, cannelle, rouroute, géranium, ambaville, benjoin, pomme de terre marronèr — la première pomme de terre cultivée sur l’île, disparue puis retrouvée par François — fleurs jaunes, eucalyptus, vétiver, anis péi… « C’est notre patrimoine, notre tradition, notre mémoire  ! »
L’épidémie de chikungunya survenue en 2006 marque un tournant dans la vie du tisaneur. Il concocte un remède pour la famille, qui souffre de cette maladie, et très vite le succès de sa tisane se confirme. Deux médecins du Guillaume travaillent en collaboration avec lui, et des études sont menées. La médecine allopathique est en effet dépassée par l’épidémie. François développe sa recette pour la population malade en forte demande. Il continue maintenant à travailler avec l’Aplamedom pour connaître et valoriser la pharmacopée réunionnaise. Sa ferme est un lieu d’échanges où sa femme et lui organisent des chantiers, des journées de rencontre, de formation et de kozman où l’on s’informe sur les alternatives en cours à la Réunion. On peut aussi trouver François chaque dimanche au marché des producteurs de Saint-Gilles, et lui acheter son « zerbaz » qui soigne.

Franswa Tibère, Cheming Feoga II, sur la route du Maido, Saint-Paul.
Aplamedom Réunion, Cyroi- Parc Technor, 2, rue Maxime-Rivière, 97490 Sainte-Clotilde, tél : 02 62 93 88 18 ; contact@aplamedom.org

Infos supplémentaires
Une première en France : l’université de la Réunion a créé en 2012 un diplôme universitaire d’ethnomédecine, branche de l’anthropologie qui étudie la santé, notamment la maladie et le soin chez l’homme. Il s’adresse à des étudiants et des professionnels de santé pour qu’ils se forment à l’ensemble des médecines traditionnelles présentes sur l’île : ils vont pouvoir ainsi pratiquer une médecine différente de celle des cabinets classiques.

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