Fin avril 2015, le journal anglais The Guardian révélait que l’ONU aurait tenté d’enterrer un rapport faisant état d’actes pédophiles commis en Centrafrique par des soldats français.
Des enfants auraient été abusés par 16 soldats français en échange de nourriture, dans le camp de déplacés de Mpoko, près de Bangui. Le travailleur humanitaire suédois qui a fait fuiter le dossier en a transmis une copie au ministère des Affaires étrangères. Le parquet de Paris avait ouvert une enquête depuis le 31 juillet 2014. Le parquet de Bangui a en revanche appris l’affaire par la presse en même temps que les citoyens français. Le ministère de la défense et le président Hollande ont alors réagi, assurant que si ces faits étaient avérés, ils seraient sanctionnés fermement. Qu’on nous permette d’en douter pour le moment. En matière de crimes commis par les soldats français en Afrique, l’impunité est une tradition solidement ancrée dans la Grande muette.
On se souvient par exemple des femmes violées au Rwanda en 1994 pendant l’opération Turquoise, dans un contexte politique marqué par une incroyable complicité entre les autorités politiques et militaires françaises et les génocidaires rwandais. Là aussi il s’agissait de victimes dans des camps, de rescapées du génocide que les militaires français étaient censés protéger. En 2004, des plaintes ont été déposées en France par certaines de ces femmes. Après dix ans et de nombreuses tentatives d’obstructions, les procédures judiciaires continuent de traîner en longueur. On se souvient également des cas de tortures commis sous la houlette d’un colonel français (devenu général haut placé depuis) en RDC en 2003 pendant l’opération Artémis, dénoncés par des soldats suédois, et étouffés après une soi-disant enquête interne… Ou encore de ce civil Ivoirien, Firmin Mahé, pris pour un coupeur de route et assassiné en 2005 par des militaires français sur ordre de leur hiérarchie. Les exécutants ont été (modestement) condamnés, mais pas les plus hauts commanditaires. L’année précédente, en 2004, l’armée française s’était déjà illustrée par le massacre gratuit de plusieurs dizaines de civils ivoiriens désarmés à Abidjan, tandis que les médias français n’avaient d’yeux que pour le drame des ressortissants français rapatriés. Ce crime contre l’Humanité est resté impuni, et même nié, malgré les rapports établis par d’autres pays ou différentes ONG, et les images du massacre diffusées sur Canal+.
Enfin signalons que les victimes centrafricaines n’auraient pas pu aujourd’hui déclencher d’action judiciaire si le scandale n’avait éclaté : ni devant les magistrats centrafricains, en vertu des clauses d’impunité qui couvrent les militaires français dans le pays, ni devant la justice française. Depuis la dernière loi de programmation militaire, le parquet, qui n’est pas indépendant comme chacun sait, détient en effet le monopole des poursuites pour les crimes commis par les militaires en opérations extérieures… L’impunité a malheureusement de beaux jours devant elle.
Raphaël Granvaud
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