Entre déficit record, scandale d’État et déboires judiciaires, la firme française du nucléaire n’a pas fini de faire parler d’elle.
Presque 5 milliards de perte en 2014 ! Les dirigeants d’Areva ont beau jeu d’accuser une période plombée par l’après Fukushima pour justifier ce déficit record. En réalité, les raisons de la mauvaise santé financière du groupe (à capitaux publics) remontent à plus loin. D’abord, les déboires de la construction de ses EPR dont les délais et les coûts n’en finissent pas d’exploser. Mais aussi les « affaires » africaines du groupe.
Rétro-commissions
En 2007, Areva fait l’acquisition d’une « junior » canadienne nommée Uramin, pour mettre la main sur des gisements d’uranium en Afrique du Sud, en Namibie et en Centrafrique, à une période où les cours flambent. Or, non seulement on sait aujourd’hui que ces gisements sont sans valeur, mais surtout tout semble indiquer (Cf. les enquêtes de Martine Orange de Médiapart) que c’est en toute connaissance de cause que l’acquisition a été pilotée par un petit groupe au sein d’Areva, sous la direction d’Anne Lauvergeon. Plus surprenant encore, Areva aurait délibérément laissé la valeur d’Uramin enfler artificiellement à la bourse de Toronto avant d’en faire l’acquisition : 1,8 milliards contre 300 millions quelques mois plus tôt, auxquels il faut ajouter un bon milliard d’investissements ultérieurs… pour rien.
Si l’on en croit l’enquête du journal sud africain Mail & Guardian, l’opération aurait en fait servi à dissimuler une gigantesque opération de corruption pour obtenir le marché de la construction des centrales nucléaires qui était alors en discussion avec le président Thabo Mbeki. Sauf que ce dernier a été contraint à la démission quelques mois plus tard et remplacé par Jacob Zuma… et la question des centrales n’est toujours pas tranchée.
Par ailleurs, il y aurait aussi eu, selon certains, des rétro-commissions à destination des réseaux politiques français dans l’affaire Uramin. Le député Patrick Balkany, qui a joué un rôle de « facilitateur » dans la transaction, vient de voir son immunité parlementaire levée à la demande des magistrats. En cause notamment, parmi les multiples circuits de dissimulation, une commission qu’un autre acteur trouble du dossier Uramin, l’industriel Georges Forrest, lui aurait versé. 5 millions de dollars, soit une toute petite partie des sommes évaporées. La justice pourra-t-elle faire toute la lumière sur l’affaire ? On sait que Balkany a été l’un des émissaires occultes de Nicolas Sarkozy pour les affaires africaines...
Corruption
En 2009, Areva a aussi fait l’acquisition d’une nouvelle mine au Niger, Imouraren, présentée alors comme un gisement majeur. Après avoir été sans cesse repoussés, les travaux de mise en exploitation viennent d’être purement et simplement arrêtés, et les travailleurs nigériens licenciés. De son côté, le président nigérien Mahamadou Issoufou n’a pas bronché, alors qu’il avait fait du démarrage de la mine l’un de ses chevaux de bataille. Au terme d’un accord secret avec Areva, le gouvernement nigérien avait reçu de la part de la firme publique française une « compensation » de 35 millions d’euros, affectée à l’achat d’un nouvel avion présidentiel. La justice française, qui avait dans un premier temps condamné le représentant de l’Observatoire du nucléaire pour diffamation, vient de reconnaître en appel qu’il n’était pas illégitime de considérer qu’il s’agissait-là « d’une manœuvre relevant de la corruption, peut-être juridiquement, assurément moralement ».
Autant de raisons de mettre fin au pouvoir de nuisance d’Areva.
Raphaël Granvaud
Auteur de Areva en Afrique, une face cachée du nucléaire français, Dossier Noir n°24, Agone, 2012 (édition réactualisée, 2015).
Survie, 107, boulevard Magenta, 75010 Paris, http://survie.org